En prenant des libertés avec les références historiques, Valentin Kunik et Guillaume de Morsier s’affirment comme des penseurs libres et fertiles. Leur monde d’influences est polyvalent et dépasse la sphère architecturale; ils y côtoient Henri Lefebvre et son concept politisé de droit à la ville, Buckminster Fuller avec sa recherche d’une compréhension large du monde qui questionne l’occupation de notre territoire, Eugène Viollet-Le-Duc dont la capacité à historiciser les phénomènes naturelles n’est plus à prouver, Alexander von Humboldt dans sa compréhension de l’homme comme habitant d’une fine couche de la croute terrestre, Pedianius Dioscurides pour son invention d’un herbier dans lequel les plantes sont classées de manière qualitative, Chris Younès et ses réflexions sur la ville et la nature.
Dans leur pratique quotidienne, les concours, les projets concrets et les travaux de recherche se côtoient et se nourrissent dans un esprit de transversalité des réflexions. Entre démarches analytiques, développements conceptuels, principes constructifs et conduites de chantier, chaque projet représente une opportunité d’approfondissement mutuel. Ce processus de réflexion cyclique et auto-fertile génère des séries de projets dans lesquelles le potentiel d’une même approche architecturale est confronté au regard d’environnements distincts et variés.
Par le développement d’une architecture contextualisée, Kunik de Morsier cherchent à construire des lieux en lien avec des usages. Ces lieux, ils les nomment géographies ; des géographies habitées et artificialisées qui s’inscrivent dans un contexte naturel plus vaste que les limites d’influence de leurs projets, l’écoumène.
Leur verve et leur pratique expérimentale expliquent peut-être qu’ils n’aient pas encore remporté de concours. Leur participation assidue au concours romands est cependant reconnue et enviée. En parallèle de leur activité de bâtisseur, plusieurs interventions dans un contexte international – Alger, Alexandrie, Kosovo, Californie – démontrent leur aptitude à élargir les champs de l’architecture.
Dans le désert californien, ils ont conçu un glacier, qui questionne le rapport à l’eau et utilise les phénomènes climatiques pour remédier à sa supposée absence. Mi-instrument, mi-insecte, leur intervention se veut révélatrice de principes climatiques avant d’être architecture. Au Kosovo, c’est l’analyse d’un territoire aux caractéristiques proches de celles de la Suisse qui les a conduits vers une étude comparative. Leurs observations croisées sur l’occupation diffuse du territoire jettent un nouveau regard sur les questions de périurbanité.
Les projets construits de Kunik de Morsier semblent s’articuler autour d’une double idée –l’intimité et le contexte – dans un jeu d’équilibre dynamique. Leurs premières réalisations – deux maisons sises à Lausanne et au Pont, un foyer d’hébergement d’urgence à Lausanne et un vidéomaton mobile – laissent entrevoir une forte autonomie de pensée et une belle propension à construire une architecture conçue sur mesure.
Référencée sur elle-même, la maison à Lausanne parle simultanément du besoin de privacité lié à l’habitat et de la diversité du contexte qui l’entoure. Le bâtiment existant marque l’ancrage alors que son extension tentaculaire se réfère dans une extravagance retenue au monde extérieure.
Au Pont, c’est la manière de vivre le rapport au sol et à la topographie qui crée le lien physique et social au contexte. Posé dans la pente, le plan carré de la maison affecte chaque courbe altimétrique à un usage. L’horizontalité de cette topographie habitée est amplifiée par la matérialisation de la structure en sapin qui définit une spatialité verticale.
Le foyer à Lausanne se vit comme une structure d’accueil évolutive regroupant quatre corps de bâtiment au moyen d’un réseau de coursives articulé et perméable. L’orientation des logements selon la courbe solaire dédramatise la typologie cellulaire et répétitive des chambres en créant un esprit de contiguïté autour d’un jardin central. Ce projet auto-initié suite à une étude théorique soutient une vision sociétale intégrative dans laquelle l’individu et la communauté se bonifient mutuellement.
Le vidéomaton reprend le concept du photomaton en enregistrant des messages vidéo. Depuis l’extérieur, sa volumétrie démonstrative lui donne les traits d’un outil ludique et communicatif. Son intérieur est un isoloir capable d’accueillir un visiteur unique pour recevoir ses confessions et témoignages intimes sur un arrière-plan mis en scène au moyen d’un périscope qui reflète le contexte extérieur.
Touche-à-tout engagés, Valentin Kunik et Guillaume de Morsier revendiquent une approche architecturale critique et conceptuelle. Leurs projets se déclinent comme autant de manifestes qui dépassent le cadre de l’architecture. Volontiers idéalistes, ils s’attèlent à développer leurs projets comme des performances intellectuelles dont le résultat esthétique aspire à l’informel.
Leur absence d’apriori et leur positivisme admettent les contraintes comme une chance d’observer le monde avec des yeux contemporains et critiques. Anarchitectes par leur intérêt pour l’exotisme et l’étrangeté, architectes par leur capacité à fomenter des structures mentales spécifiques et inédites, ils enrichissent leur monde d’obsessions durables et de rencontres curieuses.