Tisser des liens

Concours pour la rénovation et l’agrandissement de la salle de spectacles de Renens

Comment faire évoluer l’usage d’un bâtiment protégé, fortement utilisé et élément fondamental de la mémoire collective d’une ville ? Organisé par la Ville de Renens, l’objet du concours portait sur la rénovation du bâtiment des années 1950 et son extension par une nouvelle salle, ainsi que sur la requalification des espaces extérieurs. Parmi les soixante dossiers reçus, le jury a retenu dix équipes, et a décerné quatre prix, dont le premier au projet Pisé, de Conen Sigl Architekten, en partenariat avec DUO Architectes paysagistes et le bureau d’ingénieurs chauffage – ventilation Gruenberg + Partner. Le projet lauréat se caractérise par une compréhension élargie du contexte, tant au niveau matériel qu’immatériel. Il propose une réinterprétation des qualités d’origine, tant architecturales que d’usage, en reliant enjeux contemporains et identité locale.

L’existant : patrimoine matériel et immatériel

Commune de plus de 20 000 habitants faisant partie de l’agglomération de l’Ouest lausannois, la ville de Renens était un petit village viticole au milieu du XIXe siècle, qui a connu un essor lié à l’activité industrielle à partir des années 19501,qui a fortement définie son identité urbaine.

Construite en 1955 par les architectes Paul Mayor et Arnold Pahud, la salle de spectacles, classée à l’inventaire cantonal des monuments, a conservé intact son caractère d’origine grâce à un projet de rénovation sensible réalisé dans les années 19902 dans un contexte d’économie de moyens.

Au-delà de la reconnaissance patrimoniale, la salle est devenue, au fil des décennies, un lieu d’activité et de mémoire incontournable pour les habitants de Renens. Des concerts de jazz et de musique classique aux fêtes d’accueil des nouveaux habitants, en passant par la Feria flamenca, des spectacles des élèves des écoles et des séances du conseil communal, un aperçu du programme3, témoigne à la fois de l’intensité et de la diversité d’usages de la salle et de l’importance dans la vie des habitants.

La préservation de la salle tient donc à la fois à sa valeur tant patrimoniale et à celle de lieu de mémoire partagée, en tant que « boîte à souvenirs pour les habitants de Renens ».4

Le bâtiment d’origine, situé à la tête d’un îlot entre le train et une des principales avenues d’entrée à Renens, se compose de trois volumes distincts: l'entrée, qui se prolonge dans le foyer, définit la façade sud vers le train ; la salle de spectacle, dont la façade est s’ouvre sur un grand espace public ; enfin, un petit volume avec l’escalier hélicoïdal qui relie les deux. Cette configuration crée une forme d’asymétrie: une forte identité représentative en lien avec les espaces publics au sud et à l’est, et une façade arrière et une zone de parking vers la ville, où le projet d’extension de salle viendra s’installer.

Stratégies de transformation

Les quatre projets primés déploient différentes stratégies de relation avec l’existant et de définition du caractère de la nouvelle salle. Le projet de ALIAS + BESSIRE WINTER + DU STUDIO propose une stratégie différenciée d’intervention minimale, en créant un nouvel espace hybride dans le vide situé entre la salle existante et le bâtiment du foyer prolongé avec des services, mais dont la faisabilité d’utilisation simultanée des deux espaces soulève des questions. Les deux autres projets primés proposent la stratégie d’un quatrième volume qui vient compléter les trois existants. Si le projet de Comte/Meuwly + jo taillieu architecten propose une enveloppe abritant la nouvelle salle, qui réinterprète la façade existante avec une nouvelle expression constructive comme une sorte de «décor», celui de Studio Muotto, propose un volume avec une autonomie assumée en termes d’expression et d’usage, et une relation plus hermétique avec la ville.

L’approche à la transformation du projet lauréat est fondée à la fois sur la compréhension de la double condition de la salle - reconnaissance patrimoniale et ancrage social - et sur une forme de simplicité tectonique et expressive, en lien à la fois avec les enjeux environnementaux et l’esprit du lieu. Cette approche se décline en trois stratégies d’intervention, qui réinterprètent l’espace, la matérialité et l’usage, définissant ainsi une nouvelle identité hybride et un nouveau rapport avec la ville.

Réinterpréter l’espace

Le projet lauréat réinterprète le principe d’articulation autour de trois volumes du bâtiment des années 1950, proposant trois entités aux caractéristiques propres qui définissent de nouveaux espaces et une nouvelle identité en dialogue avec l’existant. Une loggia qui fonctionne comme un foyer extérieur avec une buvette ouverte sur l’espace public. À la manière des Layers of Fabric, Layers of Meaning définies par Allison et Peter Smithson5, elle ne vise pas à cacher pas la façade existante, mais à la compléter. Une structure légère crée une nouvelle identité et constitue à la fois une protection solaire nécessaire pour la façade ouest.

La nouvelle salle se distingue de l'existante autant par sa volumétrie indépendante que par sa matérialité en pisé, définissant ainsi un nouveau caractère vers la ville, et s’inscrivant dans l’identité urbaine hybride de Renens.

Elle se détache de la salle existante et s'y relie par un nouveau volume circulaire contenant une nouvelle circulation et une cheminée de ventilation. En contrepoint du volume de l’escalier existant, ce petit volume au fort caractère contribue à définir un nouvel espace entre les deux salles : une petite cour intérieure, «un lieu calme qui crée l'interface entre les deux bâtiments»6, et qui assure la liaison technique nécessaire entre les deux salles tout en minimisant les points de contact avec le bâtiment des années 1950.

Réinterpréter la matérialité et l’atmosphère

Le caractère du bâtiment existant est défini tant par la qualité des différents espaces que par une forte présence de la matérialité - des revêtements en granit, en marbre, en noyer -, ainsi que par la finesse des menuiseries et des luminaires des années 1950. L’intervention sur l’existant vise à améliorer l’usage sans altérer l’identité du bâtiment.

La nouvelle salle partage aussi la définition du caractère du lieu par l’expression de la matérialité, dans ce cas celle des matériaux naturels - les murs en pisé, le sol en bois, les panneaux acoustiques en argile – et d’une structure visible réalisée avec des matériaux de réemploi. Ensemble, ils définissent une nouvelle expression correspondant tant «aux enjeux environnementaux d’aujourd’hui»7 qu’à «un caractère modeste et humble lié aux habitants et à la mémoire industrielle du lieu».8

À la différence de la salle existante, qui a une façade représentative et ouverte sur l’espace public, la nouvelle salle est configurée comme un volume plutôt fermé, qui propose une atmosphère plus intime grâce à l’apport de lumière zénithale. Cette luminosité résulte de la disposition en retrait du volume abritant les espaces administratifs, placé au-dessous la salle.

Ce nouveau caractère vient compléter celui de la salle existante, sans chercher ni à s’opposer ni à créer une continuité, mais plutôt à juxtaposer une nouvelle logique tectonique et expressive qui s’intègre dans l’identité hybride de la ville de Renens et de l’environnement urbain proche.

Réinterpréter les usages et la relation avec la ville

Le projet propose «une mutualisation d’espaces et d’usages qui fonctionnent aussi bien ensemble qu’indépendamment».9 L’articulation des nouveaux espaces avec les existants, permet un fonctionnement simultané ou indépendant des activités des deux salles et des espaces annexes, créant une maison à l’identité hybride et ouverte sur la ville.

L’une des principales qualités du projet lauréat est précisément sa capacité à définir une nouvelle relation avec la ville, créant un espace public en lien avec le nouveau foyer, qui invite à l’utilisation par les habitants en dehors des activités qui ont lieu à l’intérieur de la salle.

En proposant ce nouveau «espace civique, un lieu que les habitants peuvent s’approprier, ouvert à toutes et tous»10, le projet élargie le périmètre d’action du bâtiment par «la réflexion de l’usage à différentes échelles, celle du bâtiment et celle de la ville» 11.

Tisser des liens : activer l’implication des habitants

Si le projet répond à la question de « pour qui est construit cet équipement ? » en proposant caractère en phase avec l’esprit du quartier et une ouverture vers la ville, il semblerait pertinent de réfléchir à des mécanismes pour que la suite du processus puisse davantage intégrer les habitants.

Ceci pourrait inclure entre autres, des ateliers de construction avec des matériaux naturels ouverts aussi aux habitants, comme ceux proposés dans le cadre de la construction de la maison de quartier des Plaines-du-Loup à Lausanne12, ou la valorisation et le partage d’expériences des métiers qui participent à la construction et à la maintenance avec de matériaux durables et de réemploi.

En attendant l’utilisation de la nouvelle salle, le processus de construction du bâtiment pourrait également devenir un lieu de partage d’expériences pour les habitants, permettant de contribuer à tisser des lien sociaux et de les impliquer plus fortement dans la définition de ce nouveau lieu civique. – Isabel Concheiro

1Source: fr.wikipedia.org/wiki/Renens
2Intervention reconnue avec le Prix Patrimoine Suisse en 2008.
3www.sallespectacles.renens.ch
4Entretien avec Luisa Alonso, architecte, membre du jury, Ville de Renens
5Allison et Peter Smithson, The Charged void: Architecture, The Monacelli Press, 2001
6Entretien avec Véronique Favre, architecte, présidente du jury
7Ibid 6
8Ibid 4
9Ibid 4
10Ibid 4
11Ibid 6
12Maison de quartier des Plaines-du-Loup, Joud Beaudoin architectes, en cours. Chantier participatif : une nouvelle relation avec la ville et un

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