Le logement social a toujours tenté d’expérimenter aves ses formes architectorales. Sur «l’Ile de Nantes» le bureau Tétrac propose des solutions originaires.
Laboratoire de l’architecture au XXème siècle, le logement social a toujours tenté d’expérimenter sur l’espace de l’habitat comme sur les modes de vie. Autant de questions sur la typologie ou sur la relation entre espace public et espace privé.
D’où la variété des concepts que développèrent, par exemple, Henri Sauvage dans les années 20 à Paris (logements autour d’une piscine), Jean Renaudie en périphérie de la capitale à Ivry (logements en étoiles avec jardins privatifs), ou Andrault et Parat dans la ville nouvelle d’Evry (toits-terrasses). Puis, dans les années 80, la logique a largement dépassé le travail sur la cellule du logement pour s’attacher à fabriquer la ville en même temps. Tandis que, avec les Hautes formes à Paris, Christian de Portzamparc articule l’habitat autour d’une rue spécialement créée pour l’occasion; Jean Nouvel recrée un ensemble “ en ville” et non dans la “zone à urbaniser en priorité”, avec son projet-manifeste de "Nemausus" à Nîmes. Avec l’ilot Candie et sa fameuse vague de zing à Paris, Massimiliano Fuksas offre un renouvellement urbain intégrant le sport à l’habitat. La tendance s’est accrue dans les années 90 avec le lancement du programme social pour les jeunes postiers à Paris qui a fait émerger de nouvelles architectures dans des scénarios urbains signés, entre autres, par Philippe Gazeau, rue de l’Ourcq, ou par Frédéric Borel rue Oberkampf. Et la résidence pour travailleurs Sonacotra à Bordeaux, travail de Marzelle et Manescau sur le respect de l’intimité dans une parcelle très étroite, avait pour enjeu majeur l’intégration au tissu de la ville ancienne et non la relégation en périphérie.
Ainsi, depuis des décennies, la quête du “bâtiment vertueux ” fait l’objet d’inlassables recherches. Cependant, prise dans le carcan des normes, l’innovation ne peut pas aller très loin, à moins de partir en croisade contre ces normes qui banalisent le logement, comme le fit héroïquement Jean Nouvel dans les années 80 avec l’ensemble Nemausus conçu sur le principe “un beau logement, c’est un grand logement ». Soulignons que cette opération, qui fait date dans l’histoire du logement social, a été réalisée dans le cadre exceptionnel d’une procédure expérimentale, dite “Rex”. Depuis, il faut bien dire qu’il n’y a eu guère d’expérimentation d’envergure en France, jusqu’à la réalisation de la Cité Manifeste à Mulhouse dans les années 2000, où cinq équipes d’architectes ont travaillé sous la direction de Jean Nouvel.
Entre temps, le débat s’est focalisé sur des questions comme la solidarité et le renouvellement urbain, les mots clé de la loi SRU de 2002 qui fixe un quota de 20 % logements sociaux par ville. Côté sociologie, avec l’évolution du modèle familial (dont familles recomposées), le logement social n’a pas vraiment suivi la mutation de la société. “On a un problème réglementaire en France, relève Edouard François, à trop vouloir écrire les choses, on décrète qu’une famille avec 3 enfants c’est 63 m2! Pour l’opération de la rue des Vignoles à Paris ce n’est pas règlementaire… je suis passé outre certaines règles”.
Serait-ce une affaire d’argent ? Le budget du logement social s’établit en moyenne entre 1200 et 1400 euros le m2 habitable, parfois plus en centre ville. Avec les contraintes contemporaines dictées par le “post- Kyoto”, et l’obligation de réaliser du “BBC” (bâtiment basse consommation sur la base de moins de 50 kwh par m2 par an), cela peut paraître peu. “Ce n’est pas un problème d’argent, nous ne sommes pas les plus mal servis en Europe, mais les plus mal livrés; c’est le processus de fabrication qui est en cause, il est très difficile, par exemple, de passer des appels d’offres en marché séparé”, déplore Patrick Bouchain, architecte devenu maître d’ouvrage social qui développe des expériences non standard dont celle de Beaumont en Ardèche, avec “la maison construite en 35 heures”.
Peut-on construire moins cher? C’est la question. Force est de constater qu’il est difficile d’appliquer des systèmes astucieux car la filière entreprise ne suit pas. Installées la culture dominante du béton, les entreprises ont du mal à changer d’attitude. Difficile de sortir de ce schéma avec toujours les mêmes recettes en matière d’isolation par l’extérieur (prônées par les bureaux d’étude), Et nombreux sont les maîtres d’ouvrages qui refusent de construire en bois ou en acier, ce qui limite les options de façade légère.
Dans ce contexte, le projet de 50 logements réalisé (d’ici 2011) à Floirac, dans la périphérie de Bordeaux, par l’équipe nantaise Tetrarc prend figure d’exception. Conçu à partir d’un système modulaire fabriqué par un industriel à la Rochelle, l’ensemble est tout en bois.
Face au risque de construire des logements de plus en plus petits et de moins en moins vitrés, les architectes réagissent: intégrer une ” liberté surfacique” dans les textes, réclame Nicolas Michelin notant que “la règlementation “bbc” se fait au détriment des surfaces et s’avère catastrophique en qualité d’usage”. Quel est le coût final pour l’utilisateur? C‘est l’autre question. “Il faut travailler plus comme les Suisses et demander un résultat global en matière de performance, beaucoup plus sensible et spécifique à chaque site”, plaide Dominique Jakob (Jakob & Mc Farlane) qui a tenté une expérimentation à l’échelle de 100 logements à Paris.
L’isolation par l’extérieur est de nature à changer complètement l’architecture, c’est l’évidence. “Aller sur un territoire qui n’a pas été exploré, c’est passionnant” dit Edouard François qui s’est saisi du sujet pour en faire une sorte de manifeste. Ainsi naquit l’immeuble “Skin wall” (69 logements) construit à Grenoble en détournant un produit pour étanchéité en toiture. Dans cette aventure, un cahier des charges a été mis au point par l’architecte avec le fabricant. “Malgré les nouvelles normes, le développement durable laisse une ouverture en termes de nouveaux modes d’habiter. Mais il s’agit de penser comment habiter “autrement” dans la ville dense, et pas seulement réfléchir à l’isolation”, résume Isabel Hérault, architecte (avec Yves Arnod) de “l’immeuble à vélo “ à Grenoble qui a fait l’objet de véritables négociations pour créer de larges coursives et offrir une pièce en plus de rangement.
Un autre point dur cristallise les inquiétudes : l’application de l’incontournable question de l’adaptation des logements aux personnes atteintes par un handicap moteur notamment, qui demanderait à ce qu’on développe plus de surface. Mais on se heurte alors à un problème de solvabilité des ménages, en accession comme en location. Ainsi, pour un 3 pièces, les promoteurs, en bons connaisseurs des marchés, demandent que dans un espace de 20 m2 soient mis le séjour et la cuisine! La pièce à vivre se réduit comme une peau de chagrin. Et la chambre principale doit être de 12,80 m (afin que le fauteuil puisse tourner autour du lit).
Comment résister à la banalisation de l’espace du logement, c’est l’enjeu de projets développés en France afin d’ouvrir des alternatives. A Nantes, un petit ensemble de 39 logements vient remplacer une barre de 100 m de long. Une opportunité pour Tetrarc de greffer coursives en bois à l’arrière et serres à l’avant, sur une structure béton tout en réalisant un acte symbolique à l’ouest de la ville: transformer la pelouse en jardin ouvrier. A l’est de la ville, l’opération “pièce en plus” menée a bien par Boskop à l’issue d’un concours d’idées, s’avère un travail très intéressant sur la densité. En périphérie, cette compacité prend la forme d’une petite casbah habitée par des jeunes.
Mais la grande tendance est la mixité, sociale et programmatique.
Sur l’ile de Nantes, nouvelle centralité pour la métropole du grand ouest où Alexandre Chemetoff expérimente à l’échelle urbaine avec son “plan-guide”, Nicolas Michelin a réalisé une opération mixte avec un tiers de social. Identifiables à leurs grands balcons qui avancent en porte à faux sur 4 m les bâtiments s’ouvrent sur le paysage ligérien. Sur la même ile, Tetrarc a livré Arborea (avec arbre dans le salon), une opération mixte de 136 unités dont 20 % de logements sociaux.
La question cruciale de la transformation est au coeur du débat du logement social. Après avoir découvert que l’on pouvait habiter les cathédrales de l’industrie (reconversion de l’Usine Leblanc à Elbeuf par Reichen et Robert dans les années 1980), on réapprend à utiliser le patrimoine des années 60-70, ce qui suppose de réhabiliter les tours et les barres les plus ingrates. Des ténors, Jean Nouvel en tête dans le projet du Grand Paris, réclament de réinvestir les grands ensembles, au lieu de les démolir. En attendant cette révolution, la relance des opérations expérimentales Rex est annoncée et les architectes s’en réjouissent, car de nombreux défis sont encore à relever dans le champ du logement social.