Le dévéloppemnt durable est très populaire près des urbanistes français. A Nantes, le nouveau éco-quartier Bottière-Chénaie propose une haute qualité d’habitat en même temps qu’un quartier durable.
L’éco-espace est devenu à Nantes une nouvelle figure spatiale idéale-typique dans l’horizon des aménageurs. Il se décline territorialement de multiples façons, dans les documents stratégiques de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, comme ceux de la région, ou encore à travers des outils comme le Plan Climat Territorial, l’Agenda 21 ou le plan Vert. Sur fond de compétition entre les villes françaises, la démarche de quartier « durable » est utilisée dans un même esprit à Nantes sur des territoires assez différents. Dès 2003, la Ville de Nantes ouvre le feu par le projet Bottière-Chênaie visant à éco-urbaniser 35 ha de friches maraîchères. Puis la Communauté urbaine (appelée « Nantes Métropole » réunissant 24 communes) cherche aussi à expérimenter l’urbanisme durable et proclame dès 2006 les projets phares dont elle a la responsabilité comme des aménagements durables (Ile de Nantes et Malakoff-Pré Gauchet). Comment les pouvoirs publics nantais se saisissent-ils de ce nouvel objectif qui les met à l’épreuve de la démonstration dans un enjeu contradictoire d’exemplarité et de reproductibilité ? A quoi sert de labelliser ainsi le territoire d’un projet ? Comment tenir les trois dimensions du développement durable sachant qu’il est bien sûr plus facile de faire un éco-quartier ciblé pour les populations aisées ? Quelques réponses à partir du futur quartier « Bottière-Chênaie ».
Situé dans le péri-centre sur un foncier résiduel desservi par le tramway (ligne 1), un projet d’extension urbaine maîtrisée a vu le jour en 2003 dans un contexte d’euphorie immobilière. Au lancement du projet, la commande initiale est extrêmement ambitieuse. Il s’agit de tester un nouveau type de produits résidentiels encore rare en France (les logements dits « abordables », destinés aux ménages primo-accédants) et d’imbriquer sur les îlots des éléments de programmes différents, pour atteindre une mixité d’occupation. L’agencement peut se faire à partir de trois catégories de logements différents (locatif social, « abordable », accession libre) ou bien avec des logements spécifiques (foyer de jeunes travailleurs, résidence domicile services, résidence de personnel d’entreprise, etc.). Au final, sur 1500 logements à construire, 25% sont du logement locatif social, 45% du logement dit « abordable » et 30% seulement du logement dit « libre », c’est-à-dire au prix du marché. Les formes également sont mixées à l’échelle d’une même opération : habitat individuel (25%) ; « intermédiaire » (superposition de deux logements dans un R+1, chacun avec une entrée privative) pour 25% et le reste en habitat collectif (50%). Toutes les combinaisons sont possibles entre statut du logement et morphologie. En lien avec ces objectifs ambitieux, l’économie du projet vise à concevoir des îlots denses (100 logements / ha) et à parvenir avec les promoteurs sélectionnés suite à appel d’offres à un équilibre financier de l’opération grâce à des ventes des droits à construire modulés en fonction du type de logement à produire et des subventions publiques. Cette nouvelle offre mixte bénéficie aussi d’équipements et d’une diversité fonctionnelle forte. En particulier, un îlot « infrastructurel » situé à l’entrée du quartier témoigne d’une forte concentration d’éléments de programmes à « faire tenir » : imbrication d’un centre commercial, de logements, des activités tertiaires, un terrain de football, un gymnase, des parkings, une école de formation professionnelle. Les années qui suivent sont marquées par l’évolution de la commande qui s’enrichit d’exigences de qualité environnementale. Le pari est de fait celui d’avoir hybridé les exigences environnementales aux exigences sociales et économiques, avec un effet de priorité rappelé par le chef de projet de la Ville de Nantes : « la commande politique n’est pas en premier lieu de faire un éco-quartier, mais de prendre en considération les priorités du logement, dans un contexte de tensions sur le marché » (suite à interview).
Les élus ont validé un certain nombre de dimensions « durables » pour Bottière-Chênaie pour expérimenter ce nouveau type d’urbanisme. L’approche de l’urbaniste Pranlas-Descours, associé à la paysagiste Bruel-Delmar, nécessite quelques explications. Inspirée d’un premier éco-quartier réalisé à Saint-Jacques de la Lande près de Rennes, l’idée est de faire un quartier intégrant la nature par :
- la réhabilitation de l’humide avec la réouverture du ruisseau des Gohards (à fonctions écologique, esthétique et ludique),
- la composition des îlots habités le long de la trame aquatique et des trames végétalisées (concept de « parc habité »),
- la gestion des eaux pluviales à ciel ouvert : réalisation de noues plantées le long des voiries,
- la perméabilisation des sols urbains (venelles, stationnement, mail central),
- et la conservation maximale de la végétation existante, ajoutée à la réalisation de jardins publics et familiaux pour les habitants du quartier. La gestion de ces espaces végétalisés est voulue comme « rustique » avec peu d’intrants chimiques : « L’été, les herbes resteront et jauniront » certifie la paysagiste. L’urbanisme « durable » témoigne bien d’une volonté d’en finir avec l’hygiénisme et le fonctionnalisme…
Le « faire avec l’existant » est affirmé avec force par l’urbaniste Pranlas-Descours qui parle volontiers d’un projet « d’association urbaine » plutôt que de composition urbaine. Le maintien des chemins ruraux, des vieux murs, des puits et autres réservoirs découle de ce souci de contextualiser l’urbanisme. Le maître d’œuvre s’emploie à un travail de « révélation » (pour citer l’auteur) pour retrouver des organisations territoriales plus anciennes. Tout n’est pas nouveau cependant et le plan-masse de ce projet de quartier « durable » reflète un urbanisme classique d'îlots. En revanche, l’effort est porté sur la diversité typologique de l’habitat avec de multiples contraintes : « on n’a pas voulu une réponse type de logement. Nous nous sommes fixés l’ambition de varier en fonction des différentes situations. Il s’agit de ne pas se contenter de loger les familles, mais de les faire habiter un territoire » pour citer l’urbaniste lors d’une interview. L’urbaniste fait également le choix d’un découpage d’îlots de grande dimension, à la fois pour emboîter au mieux les différentes typologies, mais aussi dans un souci d’économie d’échelle en coûts de construction et de gestion commune du stationnement et de certains services. Si la géométrie même des îlots est relativement simple, de forme rectangulaire, elle doit permettre toutefois la constitution de « fronts bâtis » imposés au niveau des socles et des murs maçonnés et appareillés qui construisent une continuité qui court d’un îlot à l’autre, sans toutefois aboutir à une fermeture.
A l’échelle des opérations : qualité d’habitabilité, qualité environnementale
On l’aura compris, la « qualité d’habitabilité » de l’îlot est une des priorités de Pranlas-Descours qui systématise un ensemble de règles urbaines et architecturales à suivre pour l’ensemble des vingt-quatre îlots du projet. Elle se décline en objectifs fixés aux promoteurs et aux architectes dans un cahier de recommandations qui met l’accent sur la qualité environnementale des constructions. Tout d’abord la double façade pour les futurs bâtiments situés à proximité de la ligne de tramway ou de la route de Sainte-Luce est construite comme « une vraie épaisseur de la façade qui n’a pas recours à des simulacres de décor urbain ou à des références à une architecture vernaculaire » avec des fonctions de protection phonique, solaire et d’intimité. Ensuite, le traitement des terrasses revêt un caractère primordial dans la pensée de l’urbaniste défendant l’idée d’une « véritable architecture des terrasses tant du point de vue de l’appropriation, que de l’aspect perçu » (idée de terrasses partagées pour l’habitat collectif). L’option de végétaliser au maximum les toits des opérations est annoncée dans le cahier des charges. La question des matériaux est pour lui également essentielle : proscription du PVC, des bardages en tôles, de « tout matériau ne présentant pas de garantie de pérennité et ne satisfaisant pas à l’esprit d’une démarche HQE ». Dans cet esprit, la certification environnementale est demandée pour toutes les opérations. Le traitement des limites de l’îlot doit faire l’objet d’un travail spécifique issu d’une analyse des matériaux existants sur le site. Toujours au niveau des matériaux, la continuité des sols sur tout le rez-de-chaussée avec le domaine public est recherchée. Le jeu du référencement illustrant la démarche souhaitée par Pranlas-Descours mixe des exemples de réalisation au Portugal (Souto de Moura), en Suisse (Peter Zumthor, Herzog et de Meuron) et en Autriche. Certaines pratiques importées des Pays-Bas sont impulsées par Pranlas-Descours comme pour l’îlot 15 du futur quartier sur lequel des ventes de parcelles pour de l’auto-construction ont un temps été envisagées. Enfin, le principe du stationnement en souterrain est mis en œuvre avec l’idée de créer des îlots sans voiture.
Expériences : des objectifs aux compromis
Le projet est un terrain d’expérimentation aussi bien dans le domaine du logement locatif social que pour les opérations résidentielles testant l’imbrication des produits immobiliers ou encore les équipements. Pour l’habitat, citons l’exemple des « villas urbaines » de la Nantaise d’habitations, un bailleur social privé qui a organisé courant 2003 un concours d'architecture en vue de réaliser un projet innovant et expérimental d'habitat urbain dense et individualisé à Nantes. La proposition du lauréat, François Delhay (architecte lillois), associe un fort parti architectural et des principes de développement durable (structure en ossature bois, panneaux solaires, typologie dense, agencement des pièces) souhaités par le bailleur lui-même. Les 55 logements s’organisent autour de jardins privés cerclés de pièces en vis-à-vis. L’ensemble, composé de deux bandes construites, qui alternent avec des espaces extérieurs, est compact et prévoit une végétation qui sera à terme importante : jardins en pleine terre pensés comme des pièces à part entière et jardins en terrasse. L'architecte propose un logement dans lequel les pièces sont de taille identique et s’organisent autour d’un jardin patio. L’usage des pièces n’est pas pré-établi et reste à déterminer par l’habitant. Une pièce située au rez-de-chaussée est indépendante, séparée du logement par le jardin patio. Est-elle pour autant la bonne réponse aux nouvelles pratiques familiales ?
Bâtiment de 2000 m2, la médiathèque est un autre exemple d’équipement public visant la démarche de qualité environnementale. Dans le cadre du concours d’architecte lancé en 2004, Forma 6 (agence nantaise) a été sélectionné sur la base de choix clairs : réalisation d’une double façade vitrée sur toute la périphérie du rez-de-chaussée permettant une bonne gestion de l’énergie, en été comme en hiver ; un système de puits canadiens pour une ventilation optimale du plateau lecture, l'air extérieur étant refroidi dans une série de tunnels enterrés sous la médiathèque. La température est ainsi baissée pendant la nuit pour obtenir une température ambiante confortable pendant les périodes estivales. Enfin, la création d’une toiture végétalisée est intéressante au niveau esthétique, mais aussi dans la gestion des eaux pluviales.
Pour nuancer le propos enthousiaste, terminons par les décalages entre intentions et réalisations. La réalisation simultanée de trois objectifs que sont la réalisation d’un « mix » de logements, le développement durable et la qualité d’habitabilité est de fait difficile surtout depuis que le marché immobilier s’est retourné à partir du second semestre 2008. De tels projets urbains sont considérés par les promoteurs, au pire, comme économiquement insolubles et, au mieux, comme économiquement difficiles à tenir. Pour certains d’entre eux, ces situations révèlent la méconnaissance des élus vis-à-vis des contraintes auxquelles ils sont soumis. La réalisation de cette équation peut se faire paradoxalement aux dépends de la qualité spatiale des logements produits. Un architecte interviewé, à propos de l'opération que son agence réalise pour un promoteur à Bottière Chênaie, avoue que la logique principale du commanditaire est une logique de diminution des coûts : « On sait déjà tous les problèmes que ça posera, parce que ce ne sont pas des logements très faciles à habiter en fait (...) Il faut vraiment habiter ces logements de façon très minimale, il ne faut pas avoir beaucoup de meubles, ça c’est sûr… (...) L’arrière-pensée du promoteur c’est de se dire de toute façon les gens se débrouillent, s’ils veulent des placards, ils les feront eux-mêmes, mais nous on les vend pas, comme ça notre logement on le vend le moins cher possible ».
Les objectifs de départ sont souvent alors réalisés partiellement, par petites touches correspondant à la fois à la hiérarchisation des objectifs, à des expérimentations et bien sûr à l’économie de l’opération, comme nous l’explique un responsable de programmes : « il y a une pénurie de logements donc il faut faire du logement abordable, mais ne me demandez pas après de faire de la HQE [certification environnementale : Haute Qualité Environnementale] à gogo… ». Dernière difficulté, l’acceptation de l’innovation architecturale et environnementale par les bailleurs gérant le parc locatif social. L’expérimentation formelle conduite par certains architectes est en tension avec l’objectif de faire des logements sociaux des logements « comme les autres » - ce qui passe par le rejet de toute apparence stigmatisante et la volonté de privilégier des matériaux plutôt traditionnels. Mais en même temps … la mise en couleur grise de l’îlot 6 (architectes : Garo-Boixel) gêne le bailleur social désireux de couleurs vives plus attractives.