Décarboner la construction

Julien Grisel

« En réalité, tout organisme vivant s’efforce sans cesse de compenser sa propre dégradation entropique continuelle en assimilant de la basse entropie (néguentropie) et en rejetant de la haute entropie. » Nicholas Georgescu-Roegen, La Décroissance, Ed. Sang de la Terre, 2020, p. 98

Un projet naît toujours de la rencontre entre des architectes et des maîtres d’ouvrages. Ici la commune de Meyrin demande à FAZ architectes de concevoir un bâtiment pour l’entretien des stades communaux, exemplaire du point de vue de la durabilité et de la consommation d’énergie grise.

En posant cette demande en amont du projet, la commune s’engage à soutenir un projet-prototype explorant, à cette échelle, ce qui peut être mis en œuvre pour réaliser un bâtiment ménageant les émissions de CO2 sur l’ensemble de son cycle de vie.

Situé au bord d’une parcelle résiduelle à côté des gradins du stade des Arbères, le bâtiment, bien que modeste, marque le site par sa silhouette forte. Son pignon s’élève en direction du chemin longeant les terrains de sport et, au-delà, vers les champs. Bâtiment de liaison, trait d’union, rappelant par sa forme et son langage architectural, la nature agricole de ces terrains, qui sont aujourd’hui la zone sportive d’un nouveau quartier de Meyrin.

Posé entre les surfaces engazonnées des terrains de football, le sol sur lequel se pose le bâtiment est fait d’un assemblage de dalles de béton armé récupérées sur d’autres chantiers. Reliant la cour extérieure et les garages, l’appareillage de ce nouveau dallage rappelle les chemins menant à l’Acropole d’Athènes de Dimitris Pikionis. Chaque dalle conservant plus ou moins lisibles les traces de son ancienne affectation, c’est un nouveau texte fait de morceaux « coupés-collés » qui apparaît à qui veut le voir1. L’intelligence du réemploi, qui permet de préserver l’énergie dépensée pour la fabrication des dalles dans une nouvelle utilisation, moyennant un faible apport énergétique pour les scier et les transporter2, s’associe à la poétique des fragments. Cette pratique sort du champ de la construction usuelle. Elle demande aux architectes, aux ingénieurs et aux entreprises une nouvelle manière de fonctionner ensemble. Ici, c’est le maçon qui trouve la matière issue des chantiers de démolition de la région et c’est l’architecte qui, après avoir considéré l’adéquation du lot à l’usage, en fait le calepinage. L’intérêt du réemploi réside justement dans sa capacité à utiliser des éléments nécessitant le moins de transformations possibles, pour leur permettre de conserver leur niveau élevé d’entropie. Son énergie grise est ainsi bien inférieure à celle de matériaux recyclés qui eux nécessitent une dégradation de ce niveau d’entropie3. 4

Le rez du bâtiment, non chauffé, est occupé par des garages pour les véhicules d’entretien et un atelier de réparation situés de part et d’autre d’un escalier. Au-dessus, disposés sous une toiture plissée, se trouvent des vestiaires et une salle commune. L’étage est isolé par de la laine de bois placée dans l’ossature, complétée par des panneaux de liège maintenus en façade par des couvres joints.

La structure est composée de poteaux verticaux et de poutres en bois massif, ainsi que de murs fait de planches de 40mm d’épaisseur assemblées par des chevilles en bois dur, comme une sorte de madrier vertical. Tous les assemblages sont exempts de colle et de clous. La structure horizontale est un plancher traditionnel. Une isolation en sciure de bois, issue des déchets de l’entreprise de charpente, a été insufflée entre les solives.

Une chape est coulée sur le plancher et des cloisons en plaques de terre crue ont été mises en œuvre à l’étage. Elles ajoutent de la masse à la structure en bois et améliorent ainsi le confort de l’édifice en permettant de créer le déphasage thermique et, pour la terre crue, de réguler l’humidité des vestiaires.

Le travail plus fin des contre-cœurs extérieurs et de la balustrade de l’escalier attire le regard. Ils sont réalisés avec des tasseaux de bois de sous-construction formant un claustra, jouant subtilement sur la profondeur et la superposition de deux grilles. Un détail à l’image du bâtiment qui trouve sa beauté dans l’agencement de matériaux simples que l’on ne voit habituellement pas.

En recherchant des procédés de construction respectueux de l’environnement, ce projet questionne les habitudes et les processus à l’œuvre dans ce domaine. Il bénéficie du support d’un maître d’ouvrage volontaire et de mandataires et d’entreprises intégrés à la conception et à la réalisation.

Il naît du partage de leurs savoirs5. Car, si elles ne sont initiées que par des architectes, de telles démarches restent souvent lettre morte faute de collaboration. Si les propositions constructives mises en œuvre pour ce bâtiment sont porteuses d’avenir, elles rappellent à quel point elles font aujourd’hui exception. Elles remettent en question la temporalité du chantier et, plus généralement, les rapports de production des éléments de construction qui, par habitude, utilisent de l’énergie sans compter et continuent de dégrader l’environnement.


1 Cette exploration de l’usage de dalles de béton de réemploi s’inscrit dans la suite d’une réalisation pour le jardin alpin de Meyrin par les mêmes architectes.
2 L’étude du bilan carbone de l’opération de réemploi a été faite par Célia Küpfer et ses collègues du laboratoire SXL de l’EPFL. Ils concluent à une réduction de 81% des émissions par rapport à une construction avec enrobé bitumineux. Célia Küpfer, Maléna Bastien-Masse, Julie Devènes & Corentin Fivet (2022). Environmental and economic analysis of new construction techniques reusing existing concrete elements: two case studies. In IOP Conference Series: Earth and Environmental Science, Vol. 1078, 1. http://doi.org/10.1088/1755-1315/1078/1/012013
3 Le béton recyclé demande de dégrader l’organisation de la matière et donc d’utiliser bien plus d’énergie pour broyer les éléments et les réutiliser comme agrégats.
4 Seconde réflexion sur l’usage du béton : Le mur d’enceinte de la cour de travail, qui n’a pas pu être réalisé en éléments de réemploi, a été coulé sur place en utilisant le béton résiduel des camions-toupies. Ce béton excédentaire ne peut pas être conservé et doit être jeté pour la préservation du camion. Sauvé de la décharge, il est ici valorisé.
5 Il bénéficie des apports des mandataires spécialisés, notamment le bureau Ingeni pour la structure et Perenzia pour la physique du bâtiment, des maçons de Scrasa et des charpentiers des ateliers Casaï. Si l’on souhaite ici citer ces entreprises c’est pour souligner leur implication et leur force de proposition dans le processus menant de la conception à la réalisation. Chacun fournissant un apport décisif à cette réalisation.

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