Les locaux que se choisissent les architectes pour exercer leur métier disent souvent quelque chose de leur approche. Dans le cas de BAST, pour Bureau d’architectures sans titre, l’agence qu’ils se sont aménagés relève du véritable manifeste. Après avoir passé leurs premières années dans un local commercial du centre-ville de Toulouse, les architectes se sont installés dans un garage anciennement occupé par un électricien au pied d’un petit immeuble d’habitations. Une fois le lieu débarrassé de sa rampe d’accès et de son carrelage, BAST a fait installer un sol en enrobé au rez-de-chaussée et une grande porte de garage en verre, avant de réaliser eux-mêmes l’électricité, la plomberie et le mobilier. L’espace qui en résulte frappe par sa nudité, voire son brutalisme, tout en surprenant en permanence le visiteur. Les escaliers sont constitués de simples parpaings / blocs de béton, tandis que l’isolant des murs est laissé apparent, à peine protégé des chocs par un pare vapeur sur une partie de sa hauteur.
Ce local dépouillé accueille cinq postes de travail, sans hiérarchie apparente. Ce sont ceux des trois associés actuels, après que leur nombre ait varié, et celui de deux jeunes architectes que l’agence accueille pour les former. BAST ne tient pas à grossir. Pour réaliser leur architecture exigeante, les associés exercent un contrôle très fort sur les projets, tout en étant attachés à une certaine horizontalité. La conception initiale est réalisée par les trois associés, intégralement en équipe, tandis que chaque phase ultérieure est conduite par un duo d’associés différents. Tous les choix sont ainsi implacablement débattus, ne se fixant que quand un consensus émerge entre les architectes sur une idée forte. Dans la même volonté de partage, et malgré les sollicitations nombreuses dues à son succès, l’agence ne possède qu’une seule adresse email, faisant que chacun est au courant de tout.
Cette manière de travailler, BAST l’a mise au point en répondant à des commandes souvent très modestes. Après leur rencontre dans une petite agence, au sortir de leurs études à l’école d’architecture de Toulouse, Laurent Didier et Mathieu Le Ny ont été rejoints par Louis Léger formé à l’école d’architecture de Marne-la-Vallée. Les premières demandes auxquelles ils répondent émergent de particuliers qui acquièrent des constructions extrêmement ordinaires dans la région de Toulouse. Sans grande qualité apparente, ces objets sont souvent eux-mêmes déjà le produit d’une stratification temporelle. Le garage automobile occupé par un électricien qu’ils ont transformé en bureau d’architecture n’est ainsi qu’un cas dans une longue série. Dans les tissus faubouriens, BAST est sollicité par de jeunes couples pour aménager leur maison à partir de petits édifices composites. À partir d’une ancienne usine de chaussettes bâtie sur une parcelle triangulaire, un artiste leur a récemment demandé d’aménager son atelier. Dans une station balnéaire de la côte atlantique, c’est un pavillon de catalogue, extrêmement générique, qu’ils ont eu à transformer, tandis que dans le village de Montjoire, la mairie leur a confié l’aménagement d’une maison des associations dans une vieille bâtisse donnant sur la place.
Ces commandes aux budgets et aux honoraires très serrés impliquent une forte économie de la conception. Avec les particuliers surtout, BAST s’assure de partager une vision commune avant de se lancer dans tout projet afin d’éviter de coûteux allers-retours. Plus rarement, l’agence se confronte aussi à la question de la construction neuve, comme dans le cas d’un restaurant scolaire ou de vestiaires sportifs, avec un peu moins de facilité que dans les interventions sur l’existant. Et après plusieurs expériences malheureuses, les architectes ont résolu d’éviter de travailler pour la promotion immobilière en France, qui leur semble incompatible avec leur degré d’exigence.
Pour tous les projets de transformation, BAST applique la même méthode qui se déroule en deux temps. Il s’agit d’abord de débarrasser la construction existante de ses éléments non essentiels. Les enduits en ciment ou les plaques de plâtre qui recouvrent bien souvent les parois sont systématiquement retirés, mettant à nu la matérialité brute des murs. Comme dans leur agence, les sols sont débarrassés de leurs revêtements et les dalles de béton sont poncées pour obtenir un effet lisse et mettre au jour leurs gravillons. Dans certains cas, les plafonds sont retirés, révélant les charpentes en bois massif qu’ils dissimulaient. Dans les projets faubouriens, des bouts de construction sont entièrement déshabillés pour être transformés en espace extérieur, tandis que d’autres sont percés de trous pour mettre en connexion différentes parties du programme. Dans la maison M24, c’est un grand oculus qui est ainsi percé dans la façade principale, tandis que dans la maison des associations de Montjoire, quatre murs du rez-de-chaussée sont supprimés pour réaliser une grande salle, et un parquet enlevé pour créer une double hauteur dans la bibliothèque. Une fois le second œuvre retiré et ces percements faits, ne reste que la substance même de l’édifice, ce qui lui permet de tenir.
Dans un second temps, BAST procède à des ajouts très limités. Il ne s’agit pas de venir rhabiller l’ensemble de l’édifice par des revêtements neufs pour lui donner une nouvelle uniformité, mais au contraire de réduire les interventions au stricte nécessaire. Des murs en parpaings soigneusement appareillés sont construits pour partitionner des espaces, tandis que de grands châssis vitrés en acier viennent remplacer les anciennes fenêtres. Un dialogue très précis avec un bureau d’étude permet de n’ajouter des isolants thermiques et des protections solaires que sur certaines parties des édifices, là où ils se révèlent les plus déterminants. Sur les murs mis à nus, les réseaux d’eau et d’électricité sont posés en apparent, mis en scène comme des éléments nouveaux. Pour une partie des projets, les architectes fabriquent aussi eux-mêmes des objets techniques qu’ils ajoutent à l’ensemble, qu’il s’agisse d’interrupteurs électriques soigneusement assemblés à partir de pièces détachées, ou d’un petit escalier métallique monté sur vérins qui peut se soulever pour faire office de rangement.
De cette méthode résulte une esthétique du contraste qui met en scène la stratification temporelle des édifices. Mises à nue, les parois existantes révèlent les différents types de briques ou de galets qui les constituent, avec leurs fascinantes irrégularités et leur hétérogénéité, dans un contraste radical avec les murs de parpaings gris uniformes, les poutres de béton impeccables et les structures d’acier brillant qui sont ajoutés. Les vitrages rapportés sont parfois collés à même les murs existants dont ils épousent les contours inégaux, tandis que dans certains cas de grands châssis vitrés sont déportés de la baie et dimensionnés plus grands qu’elle, renforçant l’impression qu’il s’agit d’éléments appartenant à des époques distinctes. Le neuf côtoie l’ancien, le lisse le rugueux, l’industriel l’artisanal, spectacularisant la cohabitation des temps de la construction.
Si le dépouillement des projets peut donner à leurs utilisateurs une impression de froideur, voire de caractère « non fini », cette rugosité est tempérée par la surprise voire l’amusement que suscitent une série d’interventions. Des cohabitations inattendues naissent de la confrontation entre des parties anciennes et des éléments nouveaux, comme quand des objets techniques hyper modernes voisinent des éléments patinés par l’usure. Les découpes opérées dans les édifices étonnent elles aussi par leur forme ou leur traitement : un trou circulaire à la Gordon Matta Clark perce une maison faubourienne, tandis que les poutres du plancher en bois qui se situait à l’arrière ont été sciées en deux. Une moitié des poutres est restée en place, reprise par des tirants métalliques, pour accueillir une chambre au-dessus du séjour, tandis que l’autre moitié a été remontée à l’extérieur pour former une terrasse.
Avec son approche aussi exigeante qu’originale, BAST parvient à démontrer combien tout le patrimoine ordinaire des villes et des périphéries peut être réinvesti, y compris à travers les commandes les plus banales. L’architecture redevient entre leurs mains ce qu’elle n’aurait pas dû cesser d’être : un art du rapiéçage, du raccommodement, de la réparation, où la qualité des projets ne repose pas sur leur uniformité et leur complétude, mais sur le spectacle visuel de leur stratification temporelle. Face à une telle démonstration, on en viendrait juste à espérer que BAST parvienne à recourir moins facilement à tout le vocabulaire de la construction industrielle pour générer ses effets de contraste entre l’ancien et le neuf. Si les architectes ont fait le deuil du systématisme de certains de leurs grands aînés comme Lacaton & Vassal, il leur reste encore à explorer avec toute leur intelligence les implications environnementales des matériaux qu’ils mobilisent.