L’ornement face à l’économie de moyens

Quelle est votre origine?

Nous avons toutes les deux étudié à l’EPFL où nous faisions déjà des projets ensemble. Nos approches différentes et complémentaires de l’architecture se sont forgées après nos études, au fil de nos expériences respectives. Aujourd’hui, nous aimons jouer avec l’espace et les matériaux pour éveiller les sens.

Qu’est-ce qui compte pour vous dans la pensée et dans la conception?

L’ornement prend des formes multiples, mais il reste un outil pour redéfinir des relations, raconteur des histoires, connecter des traditions, créer des hiérarchies ou les annuler, réveiller des émotions. Grâce à lui, l’espace devient identifiable, agréable, sensuel, surréel, drôle, joyeux, curieux, complet.

Dans un même temps, l’époque actuelle, faite d’urgences climatiques et sociales, suggère une frugalité dans tous les domaines. Chaque élément utilisé doit être pondéré, tant dans son utilité que dans son impact spatial et écologique. Le fait que l’ornement peut apparaître comme superflu pose donc une question centrale. Pour nous, ornement et économie de moyens sont deux préoccupations interdépendantes. L’une ne va jamais à l’encontre de l’autre. L’opposition est factice.

Il s’agit de mesurer l’essentiel et de l’exprimer de manière vivace — lui donner forme et identité, le détourner parfois, sans jamais créer d’excédent. Les éléments qui composent l’architecture, tels que la structure, les sols, les murs, les plafonds, les portes, le mobilier fixe, les plinthes, les poignées etc., peuvent être les supports de l’ornement et de son expression, ou les symboles de son absence.

Une simple plinthe, dont la fonction première est de protéger le mur, peut dès lors façonner l’espace de diverses manières: un matériau réfléchissant pour faire flotter une masse comme en lévitation, un damier pour ancrer une surface blanche et abstraite au sol, du métal froid et brillant pour contraster avec la chaleur mate du bois etc. De même, un toît fier et généreux peut faire bien plus que protéger un intérieur. Il indique un certain rapport au terrain et à l’horizon, taille des lignes dans le ciel.

Comment ces aspects s’expriment-ils dans le projet bâti?

Il s’agit d’une architecture joyeuse pour des architects joyeuses. Une hotte qui se prend pour une pyramide, un plan de travail qui effleure à peine un mur. Des panneaux acoustiques à l’allure féline. Une plinthe joueuse. Du menthe frais, du jaune solaire, du bleu Klein, du vert foncé, du bordeaux, du bois. Des miroirs qui peuplent l’espace même quand il est vide, en s’adressant à la rue. La célébration du nécessaire, la glorification du banal.