Symbiose architecturo-paysagère

Mandat d’études parallèles Parc de Perdtemps, Nyon

François Esquivé

Il y a fort à parier que la place de Perdtemps – on parlera par la suite de parc – si elle venait dans le futur à être inaugurée, ne donnera pas lieu pas au même type de célébration que l’inauguration de la Sechseläutenplatz en avril 2014, malgré des dimensions et une histoire similaires. Comme le suggère son nom, le projet lauréat « Pleine terre » de l’équipe Paysagestion (architecte paysagiste - lead), Localarchitecture (architecture), Küng & associés (ingénieur civil) et MRS Partner (circulation), repose sur des réflexions globales tout en répondant très pragmatiquement aux besoins locaux. Il apporte par ailleurs une réponse très contemporaine à la conception de l’espace public en centre-ville, tant dans sa formulation que dans le processus qui l’a vu naître.

La ville, terrain de chasse politique

Le projet urbain de la législature nyonnaise 2016-2021 est concentré sur le renforcement de l’attractivité d’un centre-ville menacé par une saturation automobile et la perte de vitesse du commerce de proximité. Le Service d’urbanisme de la Ville de Nyon s’est ainsi vu confié la mission de développer un principe directeur et, à la manière d’une agence de développement urbain, a organisé une série d’ateliers menés avec des experts de différents domaines débouchant sur le plan d’actions « Cœur de ville » validé à l’automne 2017. Le parking de Perdtemps en constituait le premier jalon. Lancé à l’automne 2018 par une une présélection d’équipes composées à minima d’un architecte et d’un paysagiste, le MEP Perdtemps répond à trois objectifs consensuels : disparition des voitures du parking Perdtemps sous un nouvel espace vert, prévention de la perte d’attractivité du commerce de proximité au centre-ville et construction d’équipements culturels manquants ou actuellement désuets. La création, en parallèle du MEP, d’un Groupement citoyen encadré par l’association En Commun et constitué de 40 représentants a par ailleurs permis de développer des réflexions et des actions autour des questions d’usages, de flexibilité et du rapport entre bâti public et espace public.
Le programme est limpide : un espace vert (env. 2 ha), un parking souterrain (450 places au minimum soit l’équivalent de la capacité actuelle), une bibliothèque-médiathèque (1'240 m2), une ludothèque (250 m2 min.), de petites surfaces commerciales (800 m2) et une surface commerciale alimentaire (2'500 m2). A ceci s’ajoutent des locaux associatifs (100 m2) résultant de l’apport participatif.

Bien commun

Le centre-ville de Nyon est situé à flancs de coteaux et historiquement constitué du Haut-Bourg articulé autour du château et caractérisé par sa morphologie urbaine, que complète le Bourg de Rive, tous les deux d’origines moyenâgeuses. Ces deux noyaux d’urbanisation sont enclavés entre deux vallons, celui de la rivière Asse au nord-est et celui de la Combe au sud-ouest. L’arrivée du chemin de fer à la fin du 19ème siècle s’accompagne d’une extension de la ville au-delà de ces deux noyaux. Longtemps située hors-les-murs, la Place de Perdtemps devient alors progressivement un vide urbain encadré par un front bâti hétérogène, résidentiel et artisanal. Avant de devenir le plus grand parking à ciel ouvert de la ville au début des années 1960, une grande pelouse encadrée d’allées de platanes sur les avenues Viollier et Perdtemps et la Rue St-Jean s’offrait aux habitants. En limite nord-est, la Salle communale au style monumental emprunt du modernisme régional des années 30 et que l’on doit à l’architecte Alphonse Laverrière (Das Werk : Architektur und Kunst, 20/1993), par ailleurs connu pour avoir réalisé la Tour de Bel Air à Lausanne, en constitue la seule construction pérenne.

Successivement verger, champ de tir, marché à bestiaux, parking à ciel ouvert, la Place de Perdtemps est un lieu à l’identité floue, longtemps resté aux portes de la cité, finalement happé au 19ème siècle par une urbanisation indécise quant aux fonctions à lui attribuer, mais n’osant pas non plus remplir son vide, bien consciente de l’héritage identitaire transporté : un espace public indéterminé désormais déterminant à l’heure où Nyon cherche à qualifier son centre-ville en développant un système d’espaces publics cohérent et garant de la structure urbaine, au-delà de toute opération immobilière d’ordre privé.

Une devise suffit-elle à faire l’unanimité ?

Les résultats du MEP dévoilés en septembre 2019 après un peu moins d’une année de procédure semblent faire l’unanimité au sein de la population nyonnaise. La portée symbolique et la procédure innovante caractérisant le projet n’ont pas suffi à agiter la paisible cité vaudoise des rives du Léman. Et pour cause, le projet de l’équipe lauréate répond aux attentes pratiques et locales du jury et plus globalement de la population, en offrant la perspective d’un espace public à forte valeur identitaire et reflet de la politique urbaine de la petite cité lémanique.
Le choix du projet « Pleine terre » convainc à plusieurs niveaux et se détache de la grande majorité des autres concurrents par la grande synergie entre les différents domaines abordés traduite par les plans. Dès le premier degré, l’équipe menée par Paysagestion et localarchitecture a pris le risque de déplacer le parking souterrain, élément financier moteur de grande importance, préférant à l’occupation du centre du parc prévue par le cahier des charges une position en rive, le long de la Rue St-Jean, lui permettant de jouer le rôle de mur de soutènement du parc et de fondations pour les nouveaux bâtiments, tout en libérant une surface de plantation considérable en pleine terre. A plus large échelle, « Pleine terre » propose l’ajout au cheminement commercial – ou « Boucle des adresses » – imaginé par la commune d’un cheminement paysager entre le vallon de l’Asse et celui de la Combe, offrant un point de vue sur le lac depuis le balcon nord-ouest du parc, ou encore le prolongement du circuit des fontaines du Haut-Bourg jusqu’aux abords du parc, orchestrant une liaison supplémentaire à la vieille ville voisine. A plus petite échelle, le Parc de Perdtemps est imaginé comme un socle dont le pré central est ouvert et bordé de franges arborisées abritant des usages plus spécifiques. « Pleine Terre » est également porteur de traces du passé, à l’image du cheminement en croix pour la traversée du pré central et de la transcription du quadrillage de plantation, deux éléments qui ramènent au Perdtemps du début du 19ème siècle. Il en va de même de la réutilisation de pierres du mur de terrassement existant intégrés à l’ouvrage constituant la colonne vertébrale de l’ensemble, le « mur habité » dont la fonction d’ourlet du parc est tout à la fois soutènement, apport de lumière et entrée dans la surface commerciale, belvédère, liaison à la ville par des gradins et des escaliers atténuant la différence de hauteur séparant le sud du nord de la parcelle.

Il est par ailleurs difficile de parler de paysage sans parler d’architecture, tant cette dernière intègre une dimension organique et une transparence qui lui alloue la capacité de rayonnement suffisante pour définir clairement le parc tout en maintenant un rapport précis avec le tissu bâti.

Trois nouveaux pavillons occupent les angles du parc en connexion avec les accès et lieux de rencontre principaux. Leurs grands toits en forme de tentes d’ardoises abritent de la pluie et du soleil et recouvrent des plans en hexagones irréguliers épousant les lignes de fuite du parc. A l’image de la bibliothèque-ludothèque posées sur les emmarchements menant de la rue au parc, l’architecture et le paysage se valorisent l’un l’autre. C’est d’ailleurs cette dernière dimension qui manquait aux deux autres projets encore en lice au 3ème degré. Si le projet « Formidable » développé par Hager Partner AG et Group8 réservait plus de sécurité en termes de réalisation par la clarté des frontières entre les différents sous-secteurs, l’articulation très maîtrisée et dessinée donnant au parc une image construite l’isolait de son contexte. Le projet « De la ville à la rivière » développé par Arriola & Fiol arquitectes et Mangeat-Wahlen présentait un parc total, développé de façade à façade dans la même lignée que « Pleine terre », mais moins détaillé et prenant le parti d’interventions architecturales hétéroclites qui l’auront manifestement desservi.

Parenthèse refermée, retour à la réalité

« Pleine terre » apporte de nombreux éléments de réponse quant à la conception au 21ème siècle d’un parc situé au centre-ville et posent d’autres questions, essentielles et liées à sa réalisation et au déroulement des processus de sélection. Les enjeux stratégiques qui sont la pierre angulaire de tous projets d’espaces publics restent en suspens : la réflexion politique à plus grande échelle concernant la place de l’automobile en ville n’est pas abordée dans la perspective d’un changement de paradigme. Quant au choix du partenariat public-privé comme modèle de financement, il laisse planer un doute au-dessus de la réussite du phasage idéal de la réalisation du Parc de Perdtemps, tout autant que sur la qualité de sa réalisation qui dépendra beaucoup des accords financiers obtenus dans le cadre du partenariat. Une situation critique pour un projet aux composants par ailleurs si complémentaires. En choisissant la meilleure des solutions qui s’offraient à lui, le collège d’experts remet à l’équipe municipale chargée de mener à bien sa réalisation un dossier ambitieux qui mérite nos encouragements. Saluons aussi la persistance du recours à la sélection de projets par mode concurrentiel dans certaines villes de Suisse romande quand beaucoup d’autres font recours à l’appel d’offres peu garant d’un jugement établi sur la base du projet.

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