Raccard contemporain

Maison aux Jeurs à Trient VS de Lacroix & Chessex architectes

Marielle Savoyat

A 1'300 mètres d’altitude, dans les montagnes valaisannes, dans un lieu reculé, non-urbanisé, isolé et difficile d’accès, une maison est récemment venue enrichir le paysage des chalets environnants. Elle laisse cependant le sentiment d’avoir toujours été là. Par une insertion parfaite dans le territoire, à la limite exacte de la rupture de pente, elle se perçoit différemment, selon l’angle sous lequel on la regarde. Depuis le haut, lorsqu’on l’approche, l’on distingue une forme sombre se fondant dans le paysage montagnard, en adoptant les contours des sommets tels qu’on les dessinerait (en forme de « M ») ; depuis dessous, côté pente, se dessinent deux silouhettes archétypiques des maisons, réinterprétation contemporaine des raccards environnants. Si un mayen définit une petite bâtisse des alpages valaisans, construite sur un socle en maçonnerie, composée d’une partie supérieure en bois ou en pierre, et d’une toiture en tôle ondulée ou en tavillons ; un raccard, lui, désigne une construction montagnarde suisse en bois, surélevée du sol pour éviter que les souris mangent le foin ou le blé. Inspirée par la mémoire du site, à mi-chemin entre l’image du mayen et celle du raccard, la villa en bois se voit surélevée sur un socle en béton, qui la détache du sol, sur lequel a été posée la structure préfabriquée en sapin brut.

Fragmentation et assemblage

A quelques mètres de l’entrée principale, une mystérieuse bouche en béton – adoptant le même langage que le socle – qui sort de terre, permet l’accès direct par le sous-sol, ce qui permet par exemple de se déchausser et d’enlever sa veste sans salir ou mouiller l’intérieur. Son message est immédiat, il invite à s’y engouffrer à la condition d’y avoir été invité : une manière d’entrer plus secrète, plus intime que l’entrée principale. La porte d’entrée de la maison, elle, est une évidence également et joue le rôle d’une invitation. Elle se repère facilement dans la façade de par sa couleur (bois clair), sa position (à l’exacte intersection des deux volumes), son renfoncement (qui fait office de couvert) et son pli (qui lui donne son caractère unique). Elle agit comme un trait d’union entre les deux volumes. Afin de se mettre au diapason de l’échelle des chalets environnants, le grand volume de base a en effet été fragmenté en deux et assemblés à 45° pour réunir les 125 mètres carrés de surfaces d’habitation. Un troisième volume très petit – un abri – vient réduire encore cette échelle. Signe d’une grande qualité architecturale, cette efficacité permet une compréhension immédiate et une insertion parfaite dans ces lieux.

Paysage et intimité

Le contraste entre le bois foncé à l’extérieur (bardage vertical en sapin pré-grisé) - qui se fond parfaitement à son environnement - et clair à l’intérieur renforce l’intimité recherchée dans la demeure. Dedans, l’utilisation du bois, matériau unique du sol au plafond, confère une unité et une atmosphère particulièrement chaleureuse aux espaces. Le rapport au paysage est omniprésent. Les deux larges ouvertures (dans le séjour au rez-de-chaussée et dans la grande chambre à l’étage) cadrent une vue à couper le souffle sur le paysage montagneux, tout en lui conférant un statut de tableau vivant, avec lequel l’on entretient un rapport intime. La surélévation de la maison sur le socle rajoute à cet effet de « plongée dans le paysage ». Les autres percées – plus petites – se réfèrent au langage du raccard. La position des fenêtres situées sur l’angle intérieur autorise les regards d’un volume à l’autre de la villa. Le propriétaire peut voir son épouse, virtuose en harpe, jouer son instrument, sans pour autant l’entendre ; et inversement, cette dernière peut rester concentrée lorsqu’elle travaille, tout en gardant le contact visuel avec le reste de la maison. Les jeux de transparence permettent ici d’être ensemble et de sentir la présence de l’autre, tout en préservant l’intimité de chacun. Ce sentiment rassurant du cocon se retrouve autant au rez-de-chaussée qui intègre les pièces de vie : le séjour attenant à la cuisine ouverte, ainsi que la salle de musique de la musicienne, qu’à l’étage, plus au calme, où sont placées les espaces de nuit : trois chambres et deux salles de bain. Les pièces, les recoins et les espaces de rangements de petites dimensions, jouant avec les niveaux, rajoutent à l’atmosphère feutrée de chalet. Ce raccard contemporain se dessine comme une réelle invitation à la douceur de vivre en famille, tout en appréciant la vue, à la chaleur de la cheminée.

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