Tout un symbole

Yves Dreier

La localisation de la nouvelle halle de logistique du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) en bordure d’une vaste zone industrielle proche de la zone aéroportuaire internationale de Genève, connote l’organisation programmatique et la charge symbolique du bâtiment. Par son programme dévolu au stockage et au conditionnement de médicaments, de produits pharmaceutiques et orthopédiques, la nouvelle halle devient un des centres névralgiques de l’institution. Cet aspect est encore renforcé par la présence sur le même site d’un centre logistique et administratif traitant les questions de l’expédition, de l’acheminement et de la distribution de matériel dans les zones de crises humanitaires. Ce programme complexe et composite présente des contraintes de mixité et de diversité des différents volumes d’exploitation, qui sont encore accrus par une organisation hiérarchique des flux de personnes, de véhicules et de marchandises.

Le bureau group8 a résolu cette gageure programmatique en composant un "raumplan", qui, tout en garantissant rigoureusement le cloisonnement de chaque unité fonctionnelle, engendre une richesse spatiale et architecturale savamment contrôlée. La juxtaposition des volumes de tailles et d’atmosphères différentes ainsi que de nombreux prolongements visuels, qui mènent le regard au delà des unités programmatiques, mettent en scène les interactions entre les différentes parties du bâtiment. Cette générosité spatiale s’articule au moyen de deux catégories de volumes distincts : les volumes pleins ou occupés dont le contenu est définit par l’affectation de chaque local, et les volumes vides ou libres dans lesquelles prennent place des espaces de détente et des patios extérieurs.

Comme pour mieux se concentrer sur sa mission internationale et humanitaire, l’usager, dès qu’il franchit la porte d’entrée, pénètre dans un monde détaché de son contexte industriel et régional. Un sas rouge en double hauteur l’accueille, deux choix se portent à lui, soit rester sur le même niveau et se diriger vers les bureaux des archives, soit se laisser aspirer par la verticalité qui le mène à l’étage supérieur où se trouvent les bureaux et les salles de conférences dédiés à la logistique. Cette deuxième zone de bureaux, qui s’organisent autour d’un vide central, se prolonge vers deux patios extérieurs, sortes de paysages intérieurs uniquement ouverts sur le ciel, qui offrent une convivialité informelle dans la collaboration entre les nombreux utilisateurs. Le premier patio, presque carré et planté d’un arbre, affirme son caractère de lieu de détente et d’échange par le lien direct qu’il entretient avec la cafétéria attenante. Le deuxième patio, plus allongé, s’avère plus calme et propice à la réflexion et pourra au besoin être fermé afin de permettre une densification future pour une vingtaine de nouveaux postes de travail.

Entre ces deux zones de bureaux, qui remplissent tout au plus un sixième du volume du bâtiment, s’organisent les volumes distincts des archives, du stockage des différentes denrées, des quais de chargement et du parking souterrain. Ils sont disposés dans une suite logique qui minimise les croisements de flux et connecte directement les zones de livraison, les espaces de stockage et les quais de préparation au départ de marchandises, qui par leur position surélevée par rapport au niveau du terrain extérieur garantissent le chargement aisé des marchandises.

Emballage

La qualité majeure de ce dispositif organisationnel et spatial réside dans sa simplicité d’imbrication. L’énorme minutie dans l’analyse des besoins et dans la compréhension du programme initial a permis aux architectes de condenser les différentes parties fonctionnelles, sous forme d’un empilement de volumes, dans un parallélépipède épuré de 66 mètres de largeur, 67 mètres de longueur et 15 mètres de hauteur.

Etant donné que les dimensions extérieures du bâtiment ne permettaient pas de le distinguer de ces voisins au caractère industriel, les recherches architecturales se sont focalisées sur l’expression de la représentativité du CICR pour le traitement des façades. Les denrées étant souvent apprêtées dans des caisses, la notation d’emballage est réinterprétée et transposée à une autre échelle pour recouvrir l’énorme volume d’une peau de bâches de camions blanches. Le recours à la symbolique et à la métaphore est courant dans les projets du bureau group8, qui manie à la perfection l’association d’idées pour créer une architecture parlante et évocatrice d’images multiples. Dans ce projet, la couleur de l’enveloppe évoque la vocation de neutralité de l’institution et l’aspect textile des bâches rappelle l’image des tentes dans les camps tout en faisant référence à l’acheminement de denrées par camions, ceux-ci étant également une des icônes les plus marquantes de l’action du CICR dans les territoires aux prises avec des conflits humanitaires.

Fixées sur une structure métallique développée sur mesure, les bâches se déclinent en larges panneaux aux formes triangulées dont les interstices composent un réseau d’arêtes. Vers le sol, cette membrane blanche s’interrompt pour laisser apparaître le socle noir du parallélépipède. Quelques gigantesques ouvertures, sous-divisées par des vitrages aux teintes différenciées, ponctuent encore chaque façade. L’expressivité formelle de l’enveloppe permet également d’intégrer une multitude de fonctionnalités - zones d’avant-toits devant les sas de livraison et les zones d’accès, tablettes des fenêtres, protections solaires - sans que ces ajouts viennent perturber la lecture du bâtiment. De plus, ce dispositif présente de nombreux avantages au niveau énergétique et fonctionnel. La bâche réalise l’étanchéité de la façade et crée un climat extérieur intermédiaire et ventilé permettant de minimiser les épaisseurs d’isolation.

Tant l’image transportée par le bâtiment vers le monde extérieur que la complexité de son organisation intérieure ont une forte valeur symbolique pour le CICR. Par extrapolation, cette nouvelle halle logistique, démontre que, malgré les aprioris, la construction de bâtiments de grande dimension et le recours à des matériaux industriels simples et fonctionnels permettent de concevoir des bâtiments au caractère spécifique et novateur sans pour autant que le bonhomme rouge sur fond blanc qui accompagne les photos de Régis Golay perde son échelle humaine.

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