Rockbund Shanghai

Réhabilitation d’un espace muséal et régénération urbaine, David Chipperfield architects

Frédéric Frank

Réhabilitation d’un espace muséal et régénération urbaine, David Chipperfield architects

L’inauguration du musée d’art contemporain Rockbund, en mai 2010, marque un pas important dans la réhabilitation du patrimoine architectural et la régénération du tissu urbain de la ville de Shanghai. Son emplacement à une rue du Bund est exceptionnel, faisant face aux parcs qualifiant la confluence entre la Suzhou Creek et le Huang Pu. L’agence londonienne David Chipperfield architects s’est chargée de la réhabilitation du bâtiment ainsi que de la transformation – en cours – de dix bâtiments du même îlot construits entre 1897 et 1936. Autour de ces édifices, de nouveaux immeubles seront réalisés ; ils offriront ensemble des surfaces commerciales, administratives ainsi qu’un hôtel et des logements. Situé en face de l’Hôtel Peninsula et de sa galerie marchande luxueuse, ce vaste programme mixte s’insérera davantage au Bund qu’au quartier populaire alentours.

Une réhabilitation exemplaire et symbolique

La réhabilitation de l’édifice, construit en 1933 par l’agence britannique Palmer & Turner (1) est significative en plusieurs points. Le Rockbund Art Museum prend possession des anciens locaux de la "Royal Asiatic Society"(2) , un pôle artistique et académique très actif jusqu’à sa fermeture en 1952. La réhabilitation de la fonction d’origine du bâtiment est donc hautement symbolique. Cet aspect est un des éléments moteur de la dynamique artistique du nouveau musée qui souhaite renouer avec ce passé prestigieux en devenant un pôle dédié à l’art contemporain dont le rayonnement s’étende au-delà des limites physiques du bâtiment. Les installations de l’artiste portugais Pedro Cabrita Reis sur la façade gouttereau du musée et celle de l’artiste coréen Choi Jeong Hwa dans le lotissement populaire voisin traduisent cette nouvelle ambition.

En rendant au bâtiment sa fonction initiale d’espace muséal, l’intervention permet de restituer les volumes d’origine. Conçus comme salle de lecture, bibliothèque et espace d’exposition, les trois espaces majeurs superposés verticalement sont aujourd’hui entièrement dédiés aux expositions temporaires et reliés par le superbe escalier d’origine jouant sur les différences de niveaux subtiles du bâtiment.

La conservation d’un grand nombre d’éléments historiques tels que menuiseries, revêtements muraux ou sols est à relever. La décroissance économique de la ville entre 1950 et 1990 est également à l’origine de la conservation de ces éléments architecturaux dans leur jus, comme c’est encore le cas pour de nombreux édifices shanghaiens non réhabilités. Le nouvel espace muséal permet ainsi d’apprécier les qualités de l’architecture art-déco du bâtiment d’origine qui hybride savamment les référentiels chinois et occidentaux.

Les interventions décisives effectuées sur la spatialité du bâtiment se situent dans la redéfinition complète du lanterneau d’éclairage naturel pour la salle d’exposition en double hauteur ainsi que dans la création d’une annexe à l’arrière du bâtiment, accueillant services et espaces administratifs liés au musée. Ces interventions induisent une nouvelle perception du musée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le nouveau lanterneau et sa perméabilité visuelle articule la cafétéria sise au dernier niveau, tout en laissant passer plus librement le regard à travers les trois derniers niveaux du musée, jusqu’alors organisés de façon plus hermétique.

L’annexe requalifie la façade arrière de l’édifice, en distinguant clairement l’élément ajouté du bâtiment préexistant, par le rythme soutenu des grands percements verticaux. L’utilisation d’un revêtement de façade réalisé en "Shanghai Plaster" (3) associe toutefois le nouveau volume à l’existant en employant le même revêtement. Les variations de hauteurs entre percements verticaux de l’annexe révèlent les différences de niveaux issues de la coupe du bâtiment d’origine en les projetant en façade. Avec un langage simple et minimal, une caractéristique spatiale forte du bâtiment est donnée à voir dorénavant, ce que la façade des années 1930, sur rue, ne laisse pas saisir immédiatement.

Un îlot stratégique

En tant que premier bâtiment inauguré de l’îlot, le musée dévoile le concept de réhabilitation appliqué à l’ensemble des bâtiments conservés. La plupart des gabarits sont maintenus voire même restitués dans leurs proportions d’origine, comme c’est le cas dans les "Yuan Ming Yuan Apartments" (1904). Les extensions admettent le même langage architectural que celle proposée dans le Rockbund Art Museum, qu’elles soient horizontales ou verticales comme la très importante surélévation de l’"Andrew & George Building" (1897). Ce concept global de réhabilitation et l’unification architecturale des différentes interventions sur les gabarits des bâtiments existants semblent prometteurs même si la pression foncière pousse parfois à la concrétisation de paris délicats.

C’est notamment cette importante pression foncière qui a conduit à la démolition de quelques bâtiments historiques sur le flanc ouest de l’îlot. Cette façade du bloc, orienté vers le cœur de la ville a reçu moins d’égards patrimoniaux que la façade est, en deuxième plan du Bund. Entre le Rockbund Art Museum et les superbes édifices (4) art-déco construits par Ladislaus Hudec s’inscrit un vaste périmètre, aujourd’hui vide mais qui devrait très prochainement accueillir plusieurs bâtiments élevés. La surface de contact avec le reste du quartier de Huang Pu sera donc complètement modifiée. C’est le cas notamment de la relation avec le lotissement populaire datant du début du 20ème siècle, présent de l’autre côté de la rue.

Au-delà du travail de l’architecte

Cette relation entre le futur îlot Rockbund et le reste du quartier mérite d’être interrogée. Si la façade historique de la ville sur le Bund a été complètement réhabilitée depuis plusieurs années de même que d’autres parties du quartier de Huang Pu – telle la rue de Nanjing – il n’en va pas de même de nombreux îlots. Plusieurs façades ont été nettoyées, mais la substance historique de ces bâtiments a rarement fait l’objet d’interventions conséquentes. La transformation de l’îlot Rockbund est le témoignage de la pénétration de cette régénération urbaine à l’intérieure du quartier, à l’instar de la devise de ses promoteurs : «Rockbund, an urban Renaissance».

Ce phénomène pose un certain nombre de questions, dépassant certes le travail de l’architecte, mais méritant toutefois d’être développées. Premièrement, la valorisation de la richesse architecturale impressionnante de ce quartier de Shanghai est à saluer. D’autant que les pressions immobilières liées à une croissance démographique et économique exceptionnelle sont très importantes sur ces secteurs idéalement placés. C’est selon cette perspective qu’il est possible de saisir l’effort considérable réalisé dans le projet Rockbund.

La seconde question est formulée à l’égard de la régénération urbaine du quartier de Huang Pu. Son patrimoine très important est encore occupé par de très nombreux logements populaires aménagés lors du déclin de la ville et de ces fonctions économiques. Ainsi de nombreuses banques, administrations ou hôtels construits jusqu’à la fin des années 1930 ont été conservés par ces réaffectations avec plus ou moins d’altérations. Cette évolution due à l’histoire récente a conféré au quartier une atmosphère populaire très vivante, contrastant fortement avec le Bund au caractère plus aseptisé. Si une réhabilitation du quartier en profondeur continuait à être effectuée, ce serait sans doute au détriment de ce sublime contraste présent aujourd’hui, entre un patrimoine d’exception et les activités quotidiennes d’un quartier populaire shanghaien.

Rockbund, une renaissance urbaine ?

Les qualités de l’espace public sont peut-être les meilleurs indicateurs de cette évolution. Il suffit de parcourir aujourd’hui la section nouvellement piétonne de la rue Yuanming, parallèle au Bund, pour s’apercevoir de la rupture enregistrée par rapport au reste du quartier. Le caractère de la rue n’entretient plus aucun rapport avec celui des rues de Huang Pu où l’appropriation massive des trottoirs par les artisans, commerçants, marchands de rues ou habitants est si caractéristique. En comparaison, la rue nouvellement piétonne est étonnement stérile, malgré ces aménagements urbains de qualité. La privatisation de cet espace anciennement public n’est peut-être pas étrangère à ce phénomène. Elle semble tenir en respect une autre forme de culture, celle informelle qui lie les habitants à leur espace public.

Ces questions ne sont ni l’apanage d’un projet urbain comme Rockbund ni l’apanage d’une ville comme Shanghai. Plusieurs villes occidentales connaissent le même genre de problématiques lors de processus de régénération urbaine. Elles sont toutefois plus manifestes dans une ville aux mutations urbaines et sociologiques très rapides. Elles revêtent également un caractère plus intense, tant le passage d’un état à l’autre est contrasté. Mais attendons l’achèvement de l’ensemble, prévu en 2013, pour préciser le rapport entre cet îlot au riche patrimoine savamment réhabilité et le reste du quartier… qui aura peut-être lui aussi subi d’importantes transformations d’ici là.

(1) Palmer & Turner ont réalisés de nombreux bâtiments emblématiques de Shanghai, notamment plusieurs édifices du Bund, entre le
milieu des années 1910 et la fin des années 1930.

(2) Cette institution donna naissance au Shanghai Museum, le premier musée moderne de Chine inauguré au même endroit en 1888 (Shanghai Zhang Ming Architectural Design Firm, Waitanyuan historical buildings, Shanghai Far East Publishers, 2007, pp.157-163).

(3) Revêtement de façade développé en Chine peu après l’apparition du ciment et très largement utilisé sur les bâtiments historiques de Shanghai pour son fini évoquant la pierre.

(4) China Baptist Publication & Christian Littérature Society (1932). A Shanghai, Ladislaus Hudec a notamment réalisé le Grand Theatre (1928) et le Park Hotel (1934).

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