Un emballage compact

Surélévation à Genève de Raphaël Nussbaumer

Anna Hohler

Si le nom de Sécheron, à Genève, est synonyme d’un quartier en forte mutation qui a vu pousser ces dernières années les constructions emblématiques, l’avenue homonyme est une rue de quartier plutôt ordinaire. Elle relie les parcs publics du bord du lac avec la passerelle piétonne de la Paix et accueille des maisons ouvrières, un garage, des entrepôts et, à son extrémité ouest, un récent campus dédié à la biotechnologie installé dans les anciens ateliers électrotechniques de Sécheron. Côté est, en direction du lac, le numéro 9 est un immeuble de logements des années 50 qui s’insère dans la silhouette discontinue d’un îlot datant du début du XXe siècle. C’est ici que prend place le projet de surélévation et de rénovation de Raphaël Nussbaumer Architectes, livré en 2015.

Comment donner une seconde vie à ce bâtiment de l’après-guerre? Comment tirer parti de son orientation plein sud? Et comment augmenter le confort spatial des logements existants aux pièces modestes, voire exiguës? Voilà quelques-unes des questions qui ont préfiguré le projet, sans oublier qu’il s’agissait également de renforcer les qualités parasismiques et énergétiques de l’immeuble. Alors, en plus de la surélévation proprement dite, qui ajoute trois nouveaux étages aux cinq niveaux existants, l’architecte a redessiné l’enveloppe du bâtiment dans sa totalité. Avec, techniquement parlant, l’isolation périphérique de la façade nord et, côté sud, l’empilement d’une douzaine de jardins d’hiver privatifs sur cour. Cette peau vitrée largement ouvrante donne aux locataires une grande liberté d’usage et permet de maximiser le gain solaire passif.

Ce nouveau « manteau » ne passe évidemment pas inaperçu, l’immeuble s’affranchissant ainsi nettement de l’apparence des constructions mitoyennes, issues d’époques diverses. Cette autonomie des deux façades par rapport à leurs voisins directs constitue une réponse cohérente vis-à-vis de l’hétérogénéité de l’îlot. Cette attitude met en évidence la question de l’« harmonie urbanistique de la rue», un concept introduit par la législation cantonale genevoise des surélévations, particulière à plusieurs égards.

En 2008, le Grand Conseil adopte la modification de la Loi sur les constructions et installations diverses (LCI) qui, plutôt que de modifier le profil des gabarits sur rue pour des toits en pente, réhausse de manière générale la hauteur à la corniche légale de 6 m pour la porter respectivement à 27 m (en zone 3) et à 30 m (en zone 2). Ce pas non négligeable vers une possible densification en hauteur est alors régulé par la seule injonction de ne pas compromettre «l’harmonie urbanistique de la rue » en question, et les projets sont examinés au cas par cas. Des «cartes indicatives» établies par l’administration identifient les immeubles les plus favorables à une surélévation, mais elles se révèlent peu opérantes dans la pratique: il apparaît vite qu’il faut un outil d’analyse contextuel plus fin, afin de pouvoir examiner la recevabilité de chaque projet à plusieurs échelles, du quartier jusqu’à l’immeuble même.

Elaborée par Bruno Marchand et le bureau lausannois Joud & Vergély, en collaboration avec un groupe de travail composé de l’architecte cantonal, de représentants de la Ville et du Canton de Genève, cette nouvelle méthodologie d’analyse pour les requêtes en autorisation de construire concernant les surélévations est entrée en vigueur en décembre de l’année dernière1. Elle introduit notamment l’examen du profil en longueur de la rue, ce qui permet d’aller au-delà des critères purement géométriques et d’analyser la relation architecturale du projet – épannelage, ouvertures, matériaux et couleurs, entre autres – avec l’immeuble support, avec les bâtiments voisins et, plus largement, avec l’îlot et le quartier dont il fait partie. De ce fait, la gamme des projets recevables est élargie: le nouvel outil d’analyse permet d’écarter des projets qui entrent dans un rapport caricatural avec leur voisinage, mais accepte une différenciation plus subtile, au profit de l’harmonie d’un ensemble plus large.

Avec la surélévation à l’avenue de Sécheron – la demande d’autorisation de construire a été déposée en 2009 –, Raphaël Nussbaumer a intuitivement anticipé cette manière de faire. Côté rue, il repousse les fenêtres à fleur de la façade afin de gagner, à l’intérieur, un encadrement plus large qui agrandit les pièces.

La différence notable dans le registre des ouvertures de la façade – la surélévation comportant, sur les niveaux 6 et 7, cinq fenêtres plus grandes que celles des cinq niveaux existants, et quatre fenêtres sur le niveau 8 – est absorbée de manière subtile par un quadrillage, qui crée un effet d’illusion optique tendant à donner une impression d’unité. Ce traitement de la façade est dû à la collaboration de l’architecte et de l’artiste Karim Noureldin, qui choisit d’appliquer une peinture cuivrée en trame irrégulière qui change de couleur selon l’incidence et l’intensité de la lumière. Un joint horizontal fin donne le seul indice immédiat de l’opération de surélévation.

Côté sud, les jardins d’hiver – qui profitent d’une échappée visuelle au-delà de la cour de l’îlot – apparaissent élégamment habillés par une structure métallique fine et régulière, ainsi que le traitement uniforme des sols, couleur magenta.

Cette attention particulière accordée à la création d’une continuité entre le corps existant et la partie nouvelle du bâtiment se retrouve également à l’intérieur. La cage d’escalier acquiert une nouvelle unité grâce au traitement subtil de la main courante et à la présence de bandes verticales grises traversant les étages – également signées Karim Noureldin. Les trois étages nouveaux, enfin, affichent une grande diversification typologique tout en étant reliés entre eux par un enchevêtrement spatial au-delà des niveaux – l’appartement du 6e comporte un studio à entrée séparée au 5e, et celui du 7e a son entrée au 6e étage. De manière générale, l’une des forces du projet consiste dans le fait qu’on y trouve du neuf dans l’ancien et, surtout, comme un air de souvenir de l’ancien dans le neuf, même caché dans un détail, comme celui des plaques nominatives bakélisées, gravées en négatif sur les portes d’entrée.

Enfin, l’application d’un voile structurel sur la façade nord a permis, outre l’amélioration des performances thermiques de l’enveloppe, de pallier aux faiblesses parasismiques induites par le système porteur préexistant, constitué de lames parallèles.

1https://www.ge.ch/dale/presse/2016-06-29_conf_communique.pdf

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