Réinventer les concours d’architecture?

Marc Frochaux

En février dernier, les 75 projets de Réinventer Paris étaient exposés au Pavillon de l’Arsenal. Plus de trois cent équipes avaient répondu à cet appel à projet d’un genre nouveau, qui concernait 23 sites répartis sur l’ensemble de la capitale. Afin de trouver les acquéreurs de ces terrains, récemment tombés dans le domaine public, la Mairie a organisé un vaste concours d’idée, placé sous le signe de la citoyenneté: «Ce n’est pas seulement Paris que nous réinventons, c’est notre démocratie que nous vivifions!» déclare Anne Hidalgo, maire de Paris. L’opération est surtout un formidable exercice de rhétorique politicienne: en privatisant ces parcelles, la Municipalité devrait empocher plus d’un demi-milliards d’euros tout en créant 1600 logements d’ici 2020, sans verser un sou. La démarche est donc déjà un succès et plusieurs grandes villes envisageraient maintenant de l’imiter. Réinventer la Seine, avec ses 40 sites concentrés sur l’Axe Seine (Paris-Le Havre), vient d’être lancée.

Le rôle de la Mairie a surtout consisté à mettre en relation les intéressés, en animant un site d’annonces et en organisant des «meet-ups» où les promoteurs rencontraient artistes, associations, consultants, architectes, et paysagistes afin de former des équipes. La «révolution dans la méthode», selon la maire, consiste en effet à inverser la procédure habituelle, en laissant le soin à ces équipes pluridisciplinaires de définir eux-même le programme du projet, son mode de financement et la solution architecturale. La sélection devait se faire en suivant le critère bien vague de l’innovation, une habile rhétorique qui mélange bonne conscience écologique et lifestyle contemporain, d’où une prolifération de technologies réputées « écologiques », comme ces façades en algues, les hydroponics ou les toitures couvertes d’éoliennes.

Si le résultat ressemble fort à un concours d’investisseurs, la démarche mérite d’être observée, parce qu’elle représente à nos yeux une contribution intéressante dans un débat plus général sur le mode d’attribution des mandats. S’il est certainement souhaitable que chaque concours d’architecture soit un concours d’idée [voir Werk April], encore faut-il déterminer précisément le cadre qui organise une telle compétition, puisque ce sont généralement les contraintes programmatiques-économiques dégagées dans une phase préalable qui freinent cet élan. D’une certaine manière, le processus établi dans réinventer Paris remet en question cet assujettissement traditionnel.

L'urbanisme par l’exception

Les lecteurs trouveront aisément les 75 projets lauréats sur le site du Pavillon de l’Arsenal. On y trouve quelques beaux objets, beaucoup de coworking et de coliving, des rooftops, du fooding, de l’urban farming à tous les étages, et du vert, beaucoup de vert… Le projet le plus médiatisé est certainement celui de Sou Fujimoto, qui propose de planter un bouquet de mille arbres sur le périphérique, puis d’y parachuter des pavillons. Ici, c’est le pittoresque et le sublime qui ont été ré-inventés. La longue-vue au premier plan indique bien l’essentiel des aspirations parisiennes: vivre dans une ville dynamique, certes, mais avec distance, loin des nuisances, du bruit, de l’odeur.

L’autre tendance est celle du bâtiment programmable, l’immeuble-environnement qui contiendrait tout un « éco-système » et s’adapte aux changements réputés incessants de la société contemporaine. Le stream building remporte la palme dans le genre. Fonctionnellement, c’est une bonne vieille trame modulaire; mais dans les mots, il est «un organisme vivant basé sur des circuits courts », qui produit des aliments, recycle ses déchets et promet dès lors de «ré-inventer la relation homme-nature».

Concours d’images et de slogans, Réinventer Paris semble avoir généré des projets plus alléchants qu’innovants. Contraints par la clause d’innovation, les concurrents ont souvent cherché à traiter sur leur petite parcelle des problématiques contemporaines majeures, mais qui appartiennent à une autre échelle, celle de la ville entière, voire du territoire, comme la gestion des déchets ou la production alimentaire. Prônant le local, l’économie circulaire ou les « éco-systèmes» urbains, ils construisent autant d’exceptions ignorant leur contexte.

Aussi nous préférons ces projets plus modestes qui travaillent directement avec les données du site et du voisinage, afin de démontrer que la démarche de Réinventer Paris peut générer des projets originaux, avec un programme précis, qui n’auraient certainement pas pu être pensés dans des conditions d’un concours traditionnel. Parmi les lauréats, on trouvera quelques perles: un campus pour hackers, une «fabrique de la danse » dans un ancien garage et une sous-station électrique transformée en cinéma. Nous avons cherché longtemps les projets qui innovent sur le plan architectural. En voici deux.

Réinventer le contexte

Le groupement NP2H et OFFICE ont proposé de développer un programme axé sur le sport, sur une parcelle située à proximité de la ceinture verte. «L’invention du bâtiment réside non pas dans une accumulation technologique mais dans la simplicité d’un plan de logement radicalement repensé», déclarent les auteurs. La « solution “écologique” sans artifice» est purement spatiale; elle consiste à coloniser ces espaces résiduels générés par l’urbanisme des Grands Ensembles: cinq petits palais sont déposés autour d’une barre d’immeubles, puis des terrains de sport sont aménagés dans les espaces interstitiels, favorisant ainsi la sociabilité et la mixité dans des rapports spatiaux.

Réinventer Paris offre l’opportunité de développer le thème du sport en ville, une recherche que poursuit la jeune agence parisienne depuis les études et qui avait abouti en 2014 à une exposition au Pavillon de l’Arsenal. L’association avec l’agence bruxelloise Office KGDVS renforcera le développement de plans de logements flexibles et évolutifs malgré leur exiguïté.

Une ancienne halle industrielle située au fond d’un îlot donnant sur l’avenue Ordener devait générer quelques projets très délicats. Parmi les nombreux projets de réinvention de l’habitat, celui des Cityzens s’assimilie à une petite coopérative zurichoise, avec ses services en commun, jardin et crèche. Afin de créer des logements de qualité abordables pour tous les revenus, les promoteurs développent une formule juridique innovante, (proche du modèle coopératif suisse) reposant sur un bail à loyer de 99 ans conclu avec la Municipalité. Hondelatte + Laporte architectes ont développé une typologie très intéressante pour répondre à ce modèle économique, tout en s’adaptant à la parcelle longiforme. Sur une trame souple, les habitations se développent sur trois étages en quinconce, permettant à chaque maison, de 1 à 5 pièces, de bénéficier d’un accès de plein-pied et d’une terrasse personnelle. Comme dans le Familistère de Guise, une rue intérieure couverte d’une toiture vitrée, réunit les habitants au quotidien.

Le projet s’inscrit dans une démarche participative, qui n’inclut pas seulement les habitants, mais également les voisins: ceux-ci ont été convaincus de renoncer à leur droit de recours en échange d’une pièce supplémentaire avec accès au jardin central. Dans ce cas précis, le programme, la relation au contexte, le projet architectural et son mode de financement sont abordés simultanément dans la phase de compétition et poussé à un détail très élevé. Si la proposition n’a finalement pas été retenue, elle contribue à favoriser le modèle coopératif, auquel les investisseurs sont très réticents en France, et offre des pistes de recherches intéressantes sur l’exploitation des pignons parisiens qui pourraient être poursuivies ailleurs.

Pour ces deux équipes, perdantes, Réinventer Paris est tout de même une expérience positive, car la démarche a permis de créer des projets véritablement innovants en réfléchissant en commun à leur programmation. Mais Cyril Poy (Les Cityzens) prévient: si la Municipalité n’assure pas les conditions cadres équitables, l’expérience peut se révéler désastreuse, surtout pour les dizaines de petits promoteurs, qui auront travaillé sans rétribution. Comme le mode de financement interne était laissé libre aux équipes, certains architectes ont été payés, d’autres non. Le procédé a naturellement provoqué la colère de l’Ordre des architectes et d’une profession qui pas habituée aux concours ouverts non-rétribués, comme en Allemagne ou en Suisse. Sur le plan financier, NP2H s’en tire bien, car ils ont pu négocier avec le promoteur principal une rétribution équitable s’ils devaient passer le troisième tour. Et les deux bureaux s’enthousiasment d’avoir pu livrer une contribution enrichissante, qui mènera peut-être à d’autres mandats. C’est peut-être là que réside la principale qualité de Réinventer Paris: inviter les citoyens au débat sur leur ville, en questionnant l’ordinaire. Et sur point, c’est une réussite.

 

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