Paysage densifié

Quartier Belle-Terre à Genève-Thônex Atelier Bonnet avec BCMA, LRS et Jaccaud Associés

Dans la banlieue genevoise de Thônex, la périphérie de la ville se trouve au milieu : un terrain de 38 hectares est resté ici, au milieu des maisons individuelles, une prairie verte jusqu'à récemment. Il s'agit des anciens communaux de la commune française voisine d'Ambilly. Mais aujourd'hui, c'est un morceau de ville qui est tombé du ciel et qui s'élève, dense et dans des tons gris brunâtres chauds, au-dessus de l'environnement vide: 670 logements pour commencer - 2700 devraient l'être dans dix ans, lorsque tout le quartier de Belle-Terre sera achevé.

Planifier des espaces et non des corps de bâtiment

Un grand lotissement sans lieu dans la verdure, donc, comme Le Lignon ou d'autres monstres du passé ? Au contraire ! Nous entrons dans un espace urbain dense et étonnamment agréable à vivre, avec des ruelles et des places qui nous accueillent avec bienveillance. Un morceau de ville - et en même temps un paysage ouvert. Pierre et Mireille Bonnet ont créé en 2008 le plan d'urbanisme de cet espace urbain étonnant et l'ont réalisé à partir de 2014 avec les architectes BCMA (Bassi Carella Marello), LRS (Lin Robbe Seiler) et Jaccaud Associés en architecture. Ils ont ainsi créé une alternative fondamentale à l'urbanisme genevois habituel des rangées isolées et des maisons ponctuelles, des barres et des plots - un quartier composé d'espaces précisément dimensionnés.

En fait, l'urbanisme des Bonnets relève plus de l'architecture que de l'urbanisme, il est pensé en trois dimensions et va inhabituellement loin dans la définition d'éléments déterminants pour la qualité. Ce n'est pas un hasard. Juste avant le concours pour Belle-Terre, ils avaient achevé (en 2007) leur propre maison d'habitation à Vandoeuvres : une maison comme un paysage, intégrée en gradins plats dans le jardin, méandreuse, englobant les espaces extérieurs, avec de larges vues à l'intérieur comme à l'extérieur. Ce sont précisément ces éléments : marches, escaliers, ruelles, esplanade et place, qui ont également marqué le travail sur Belle-Terre, à petite et à grande échelle.

Casser les grandes formes

La situation de départ était difficile. Le plan directeur de l'Atelier Bonnet pour les deux zones centrales de construction se base sur le concept général de l'urbaniste catalan Joan Busquets de 2004 : celui-ci est dominé par un boulevard bombé et rectiligne sans début ni fin, auquel se rattachent six zones de construction gigantesques et de larges bandes vertes. Au sud-ouest, une route de desserte aménagée comme une autoroute relie le quartier au monde extérieur.

"Tout nous semblait trop grand", explique Pierre Bonnet. Lors du mandat d'étude de 2008, Pierre et Mireille Bonnet ont mis leur ambition dans la rupture des dimensions de l'axe principal et des parcelles constructibles. Ils ont réussi à négocier une réduction du boulevard de 40 à 34 mètres, mais surtout à pétrir les volumes des bâtiments. Le gros morceau s'est ainsi transformé en une structure, une suite aérée de chemins et de places. Au lieu d'une surface, c'est un espace qui a été créé - un espace libre avec des atmosphères très différentes.

Le moyen utilisé est un corps de bâtiment hybride, ni bloc ni ligne. En tant que méandres ouverts et étagés en hauteur, ils englobent vers l'intérieur une séquence de places et de ruelles - des espaces clairement délimités et pourtant ouverts. La hauteur varie de quatre à dix étages ; des retraits plus bas interrompent les longues façades des bâtiments, et de larges passages offrent des vues et des liaisons entre les chemins. La structure combine l'urbanité avec des modèles ruraux, tels qu'on les connaît dans la Campagne genevoise.  Ainsi, les coins et les bords des parcelles construites ne sont pas bâtis, mais occupés par des jardins et des murets - des différences de niveau bien pensées sont mises en scène par des escaliers et des murs. La structure reste ouverte, même pour la vue depuis le balcon : les quatre parcelles de construction portent le nom des montagnes - Mont Blanc, Salève, Les Voirons, Le Môle - que l'on voit effectivement depuis les appartements.

L'intérieur de l'Esplanade est matérialisé en dur. Il était important pour les architectes que le parking souterrain ne soit pas aménagé sous les maisons, mais sous la place. Cela impose certes des limites strictes à la plantation d'arbres, mais cela oblige aussi les habitants à sortir à l'air libre lorsqu'ils vont de leur voiture à leur appartement, à devenir visibles avant d'entrer dans leur maison. Des îlots d'arbres ronds, des sièges et un petit pavillon animent l'esplanade, qui se veut une place urbaine et non un espace vert de lotissement. Les rez-de-chaussée abritent des magasins et d'autres usages publics. Presque partout, les zones au pied des façades sont couvertes et permettent de flâner au sec par tous les temps. Et toutes les fenêtres et portes du rez-de-chaussée sont systématiquement en bois chaud.

Des murs bas invitant à s'asseoir sont présents ici, mais plus encore au bord des cours et jardins verdoyants qui relient le quartier à la verdure environnante - particulièrement charmant au nord-ouest, où un bosquet dense de chênes délimite le quartier de Belle-Terre et le sépare du site de la clinique Belle-Idée.

Un quartier entier ton sur ton

C'est un coup de chance unique que quatre bureaux partageant les mêmes idées aient développé l'architecture du quartier en étroite collaboration. Leur choix ne s'est pas fait par le biais d'un concours ; au lieu de cela, des entretiens de sélection ont permis d'identifier les bureaux qui seraient en mesure de travailler ensemble. "Des esprits forts et des équipes agiles se sont réunis", explique Pierre Bonnet, et de nombreux ateliers ont permis d'approfondir les échanges. La coopération a été si fructueuse qu'elle a permis d'éviter une solution TU. Les cheminements et la matérialisation ont été déterminés en commun. Mais le coup de hussard a été le choix d'un seul fabricant d'éléments en béton pour les quatre zones de construction : la célèbre entreprise Prelco. Il a ainsi été possible d'harmoniser précisément le grain et la teinte des façades en éléments, même avec des maquettes, et d'obtenir une qualité de béton exceptionnelle.

Diversité des univers d'habitation

Extérieurement, les architectures des quatre zones de construction se ressemblent tout à fait. Les quatre bureaux d'architectes ont travaillé intensivement à l'harmonisation des éléments en béton, toujours orientés horizontalement et teintés de manière uniforme. Ce n'est qu'en y regardant de plus près que les différences apparaissent clairement : les éléments de grand format de l'îlot B montrent clairement la signature de BCMA ; LRS a opté, comme l'Atelier Bonnet (A2-1 et -2), pour une stratification horizontale avec des panneaux d'allège continus, tandis que Jaccaud (A2-3) a conféré une dignité particulière à ses logements sociaux avec des balustrades et des rideaux ouverts.

Les plus grandes différences se situent toutefois à l'intérieur des maisons, où chacun des quatre bureaux a développé ses propres typologies. Dans le cas de LRS (A2-2), il s'agit d'appartements orientés sur deux côtés, auxquels un hall d'entrée central confère une impression d'espace bourgeois - la desserte est en revanche réduite. Dans l'immeuble central de dix étages de l'Atelier Bonnet (A2-1) en revanche, c'est la grandiose cage d'escalier centrale avec ses deux atriums qui impressionne, mais on n'est pas non plus déçu par les appartements que les architectes enroulent avec virtuosité autour des angles du bâtiment, de sorte que les vues diagonales créent de l'espace. L'atmosphère est relativement spartiate dans les immeubles de logements sociaux de Jaccaud Associés (A2-3), dont les hautes atriums centrales avec leurs galeries périphériques rappellent de loin le Familistère de Guise.

Quel que soit l'appartement dans lequel on se trouve, presque tous offrent une vue sur ce qui se passe dans le paysage de la place centrale. Il n'y a que rarement des situations de vis-à-vis direct, les découpes dans les volumes des bâtiments laissent plutôt la vue s'étendre partout, et de nombreux balcons profitent de la vue sur les montagnes.

Plus de 10 000 mètres carrés de surface de plancher au rez-de-chaussée sont réservés à des utilisations commerciales ou complémentaires à l'habitat ; l'habitat proche du sol n'existe que dans les zones extérieures du lotissement. Une partie des locaux commerciaux étaient déjà occupés à l'été 2022, un grand distributeur s'est également installé. La largeur du boulevard central provoque toutefois un effet de séparation considérable entre les parcelles de construction A2 et B, ce qui rend difficile la fusion des deux côtés en un centre commercial. L'urbanisme a certes réussi à mettre en relation les volumes et les profondeurs des deux côtés, de sorte qu'un dialogue se crée à travers la rue. La traversée physique du boulevard n'est cependant possible qu'en de rares endroits ; elle reste un grand geste sans grand rapport avec le lieu concret. Le hasard lui a tout de même offert un point de fuite proéminent : vers le sud-ouest, l'axe pointe exactement vers la tour Opale de Lacaton Vassal à la gare du Léman Express (cf. wbw 12-2018).

Perspective

Avec le lotissement, près de 700 logements ont été créés d'un coup, environ 2000 autres devraient suivre prochainement, dont environ 400 coopératives. Suite au premier mandat d'étude, Urbaplan avec Charles Pictet et ADR en 2014, CCHE et group8 en 2018 ont remporté d'autres concours avec des projets très différents - le jury de 2014 ayant déclaré que la première étape maintenant réalisée serait le modèle pour les suivantes.  Avant même les premiers immeubles d'habitation, l'école primaire (CLR architectes) était prête en 2021.

Le morceau de ville qui semble encore isolé aujourd'hui deviendra d'ici 2030 une partie et le centre d'un quartier vivant à la densité urbaine ; l'échelle du boulevard surdimensionné trouvera peut-être alors sa justification. Mais une certaine artificialité subsistera déjà du fait que le nouveau quartier restera de fait clôturé sur trois côtés - une seule voie de liaison (plus ancienne) à travers les quartiers voisins traverse le boulevard, qui n'est lui-même relié à la ville que par la barre de desserte sud-ouest, dans laquelle on n'a pas envie de pénétrer à pied. Du point de vue des transports, il semble que Belle-Terre, malgré ses trois lignes de bus, reste encore pour longtemps extraterritoriale, comme tombée du ciel.

Annonce