Ecole Steiner, Bois-Genoud

Marc Frochaux

«[…] Et nos chers architectes et ingénieurs, et l’ensemble de ceux qui travaillent à la construction, pourront être encouragés par une pensée réconfortante: à côté de tous les soucis, de toutes les peines qu’il nous vaudra encore, cet édifice peut devenir pour nous un magnifique moyen d’éducation qui nous aidera à dépasser ce qu’il y a encore en nous de trop personnel.»

Rudolf Steiner, Vers un nouveau style en architecture. Paris: Triades, 1978, p. 50.

Le long chantier du Goetheanum de Dornach (1913-1920), à travers l’échange des compétences et le partage des instants de labeurs, a été l’une des expériences fondatrices de l’esprit qui anime les disciples de Rudolf Steiner jusqu’à aujourd’hui. L’imposante bâtisse de bois aux formes organiques n’était pas qu’un lieu de réunion; il symbolisait les espoirs de toute une communauté et propulsa véritablement la notoriété des idées de Steiner à travers le monde. Pionnier de la pensée environnementale, le philosophe a développé des réflexions qui ont aujourd’hui des répercutions importantes dans des domaines aussi divers que la médecine, l’agriculture et la pédagogie. Aussi son œuvre construite est-elle considérée comme un Gesamtkunstwerk qui dépasse largement le domaine de l’architecture. Une exposition montrée récemment au Musée du design Vitra a relevé l’impact des travaux du réformateur sur divers créateurs contemporains, parmi lesquels on devrait certainement compter l’agence LOCALARCHITECTURE.

Près d’un siècle plus tard, la réalisation d’un nouveau bâtiment pour l’école Steiner de Lausanne réactive certaines valeurs collectives qui animaient les Anthroposophes. L’école, fondée en 1976, prône des qualités humanistes et créatives, basées sur la pédagogie de Rudolf Steiner. Installée depuis 1992 sur le site de Bois-Genoud, elle bénéficie d’un rapport privilégié avec l’environnement naturel. Accueillant des élèves de 2 à 19 ans provenant des cantons de Vaud, Valais et Fribourg, les classes atteignent leurs capacités maximales: les pavillons construits alors temporairement devaient être remplacés.

Les réalisations de LOCALARCHITECTURE témoignent d’une certaine affinité avec l’éthique de l’école. La grande expérience accumulée autour des constructions en bois et la réflexion environnementale entourant chacun de ses projets a décidé l’association de l’école a confier le mandat à l’agence lausannoise.

Le projet formulé par le maître d’ouvrage est de créer une «école durable». Il se réalisera d’une part dans la réflexion poussée sur la relation du bâtiment à son environnement et aux matériaux utilisés (tout le bois provient des régions des Alpes); d’autre part dans l’expérience d’un chantier qui donne un rôle important aux entreprises locales et à la participation des bénévoles proches de l’association.

Une école dans la forêt

L’ensemble de Bois-Genoud est compris dans une zone protégée dans le plan d’aménagement Lausanne-Morges (PALM). Il s’intègre dans une «zone verte», où les réalisations doivent favoriser la continuité de l’éco-système. Il était donc primordial d’inscrire le nouveau volume dans le tissu végétal existant.

Le bâtiment abrite six classes ainsi que des salles de groupe, de musique, de sciences et une salle d’eurythmie, distribués sur 3 étages. Les architectes placent la circulations dans une large coursive extérieure. Ce geste permet d’économiser les surfaces chauffées, solutionne simplement les cheminements de fuite, tout en offrant un espace extérieur de qualité à toutes les classes. La coursive s'inspire d'une typologie déjà en vigueur sur le campus, la relation directe avec l’environnement étant particulièrement prisée dans l’enseignement de l’école Steiner.

Un léger pli opéré en plan sur l’ensemble du volume réoriente les classes vers le site, dynamise l’espace de la coursive et dote la toiture d’une forme expressive. Cette volumétrie enrichie fait écho à l’architecture organique qui caractérise généralement les réalisations des écoles Steiner de part le monde, et aide à ancrer l’école lausannoise dans un réseau international.

L’environnement comme méthode de projet

Le projet s’inscrit dans une redéfinition globale du site de Bois-Genoud. Des synergies existent déjà entre l’école, la ferme bio-dynamique et le restaurant avoisinant, qui prépare les repas de la cantine. D’autres pavillons scolaires seront remplacés d’ici à 2020. Dans une troisième phase, des logements mixtes devraient venir compléter l'ensemble, pour former un véritable éco-quartier. Les 160 m2 de panneaux solaires déployés sur le toit de la nouvelle école permettent déjà de couvrir les besoins du bâtiments en électricité.

Le budget limité de cette première étape (financée en bonne partie par les dons des proches et membres de l’association) a orienté les architectes vers un chantier rapide, rendu possible par une structure en cadres de bois préfabriqués en atelier et assemblés à sec. Les dalles mixtes bois-béton ont été coulées au fur et à mesure de la construction, une fois la dalle supérieure les protégeant. D’une portée de 8m, celles-ci ont des qualités acoustiques intéressantes et augmentent le confort grâce à leurs capacités d’inertie thermique.

Une enveloppe périphérique en mélèze ferme le bâtiment du côté nord et sur les pignons, tandis que la façade sud est largement ouverte sur le site, à travers les coursives suspendues au toit par de fins tirants métalliques. Dimensionnées par un ingénieur-thermicien, celles-ci permettent de profiter au maximum des apports solaires: elles servent d’avant-toit protecteur en période estivale et laissent pénétrer le rayonnement direct en hiver.

La préparation des éléments en atelier a permis de limiter le travail sur site à quelques mois. Commencé en janvier 2012, le bâtiment est livré pour la rentrée suivante, à la fin du mois d’août. En tout, un seul semestre scolaire a été occupé par le chantier, qui a du coup dévoilé ses vertus pédagogiques aux élèves.

Une bonne partie des finitions ont été réalisées bénévolement par les parents et proches de l’association. Le chantier, où se rencontrent le savoir-faire de charpentiers de la région et les espoirs des proches de l’école, devient, le temps d’un été, le lieu d’échanges et de communications qui soudent la communauté.

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