Comment densifier la ville construite ?

Lausanne planifie de manière participative

Yves Dreier

Lausanne grandit au même rythme que son agglomération. Pourtant, le territoire de la ville est largement construit : où donc loger les nouveaux habitants ? La protection des bâtiments existants, l'ISOS, les objectifs climatiques et la culture de la participation sont autant de défis ; pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec les responsables de la planification urbaine lausannoise.

Après la crise des années 1990, il n'y a guère de symbole plus emblématique du nouvel essor de la ville de Lausanne que le métro M2 : depuis la transformation entre 2002 e 2008 de La Ficelle, l'ancien funicuaire entre Ouchy et le Flon, le métro automatisé qui sillonne à travers toute la ville est devenu l'épine dorsale de la mobilité lausannoise et le moyen de transport le plus fréquenté de la ville. Il n'est pas seulement le symbole de l'essor, mais aussi de la politique rouge-verte, qui constitue depuis 20 ans une majorité à Lausanne et plus généralement dans le canton de Vaud.

D'ici dix ans, la troisième ligne de métro devrait desservir la zone de développement des Plaines-du-Loup et le stade de la Tuilière, et en 2026 déjà, le nouveau tram reliera Lausanne à Renens. Dans son programme nommé Axes forts, le canton prévoit une densification du réseau de transports publics pour Lausanne. Parallèlement, au le projet Léman 2030, qui se chiffre en milliards, permettra aux CFF de doubler la capacité de l’infrastructure ferroviaire entre Genève et Lausanne avec la réalisation d’une deuxième double voie et la transformation des gares de Lausanne, Renens et Genève.

2030, l'année clé

2030, c’est également l'horizon temporel d'autres planifications. D'ici-là et conformément aux prévisions cantonales, la ville table sur 30 000 nouveaux habitants (en augmentation de 20%) ; 75 000 nouveaux habitants sont prévus pour l'ensemble de la région de planification du PALM, qui comprend 26 communes et cinq réseaux de planification situés dans le périmètre d’influence de la ville. Autant dire que Lausanne bouge !

En 2019, la ville a présenté (en même temps que l'Ouest Lausannois) son plan directeur communal (PDCom), qui concrétise les objectifs de croissance sous le slogan Lausanne en 2030. Actuellement, le Service de l'urbanisme travaille sur sa mise en œuvre par l’élaboration de nouvelles directives qui feront l’objet d’un nouveau plan d'affectation communal (PACom).

L'identité des quartiers existants, une qualité de vie élevée et l'adaptation au changement climatique sont des objectifs aussi importants que la croissance ; des valeurs qui ont été amplifiées par l’inscription de la ville de Lausanne à l'ISOS en 2016 et la publication du nouveau Plan Climat en 2021. A cela s’ajoute une population qui suit attentivement les changements et s'implique de manière critique dans les planifications participatives. Comment tout cela peut-il s'articuler de manière positive ? Nous avons posé la question aux responsables du service de l'urbanisme et des bâtiments : Nicole Christe, directrice du service des bâtiments, Nicolas Guérin, directeur de l'urbanisme et son collaborateur Yves Bonard, responsable des projets d'urbanisme.

Zones préservées et pôles de croissance

L'urbaniste Nicolas Guérin évoque d'emblée une des clés de compréhension fondamentale pour les planifications à venir : le plan directeur souhaite concentrer la majeure partie de la croissance sur six zones de développement, situées pour la plupart en périphérie et à l'ouest de la ville : Les écoquartiers des Prés-de-Vidy (au bord du lac) et des Plaines-du-Loup, très mixtes, seront construits sur des parcelles appartenant à la ville ; la zone de développement de Sébeillon-Sévelin, qui sera bientôt desservie par le nouveau tram, situées sur des terrains occupés par les CFF et diverses entreprises ; un cluster dédié aux sciences de la vie verra le jour autour de l'hôpital cantonal (CHUV) ; une zone située au nord permettra de rattacher le territoire communal sis au delà de l’autoroute ; et enfin, le pourtour de la gare vers lequel convergent les axes de mobilité. Ces six périmètres sont tous considérés comme des pôles de développement. Pensée selon les modèles d’urbanisation polycentrique, l'équilibre de l’agglomération lausannoise se déplace vers l'ouest, où de nouvelles polarités se concrétisent à Malley et Renens. A l'est, en revanche, la petite échelle du découpage parcellaire fait obstacle à des changements conséquents.

Pour la majeure partie de la zone urbaine, les planificateurs ne souhaitent qu'une densification ponctuelle et "homéopathique" et visent à préserver scrupuleusement les structures et les identités actuelles – ici l'ISOS a conduit depuis quelques années à un vrai changement de mentalité. Afin de protéger l'existant et de dégager les percées visuelles, la densité actuellement autorisée doit même être abaissée en de nombreux endroits. "Au lieu d'un règlement de construction général", dit Nicolas Guérin, "nous visons un traitement à très petite échelle, qui tienne compte de l'existant - rue par rue, presque parcelle par parcelle". Les aspects climatiques font également l’objet d’une attention particulière : conservation et augmentation des espaces verts, entretien du patrimoine arboré, protection du sol contre l'imperméabilisation, biodiversité. "Nous travaillons en superposant des couches thématiques", explique Nicolas Guérin. Tout cela conduit à une attitude conservatrice et les six zones de développement s’affirment comme "une idée libératrice", car c’est elles qui vont principalement absorber la croissance prévue d’ici 2030.

Les plans d'affectation spéciaux : une manière de densifier en garantissant une valeur ajoutée

En dehors de ces six pôles de croissance, des changements sont également possibles. Pour les interventions qui regroupent une vaste parcelle ou plusieurs petites parcelles, il existe l'instrument du plan partiel d'affectation (PPA), c'est-à-dire un plan spécial qui érige ses propres règles de construction pour envisager des modes de construction plus urbains et plus denses. Une quarantaine de procédures de ce type sont en cours, y compris dans des pôles de croissance comme Sébeillon-Sévelin ou les Plaines-du-Loup.

Yves Bonard prend l'exemple des Bergières pour expliquer ce mécanisme d’urbanisation : le propriétaire voulait rénover le centre commercial des années 1980 et le surélever par l’adjonction de trois immeubles d'habitation, ce qui n'était pas possible sans prescriptions spéciales de construction. Lors des négociations, la ville a fait valoir un nouveau levier politique : conformément à la nouvelle loi sur le logement (2018), elle a exigé une part de 30% de logements à prix modérés et la création d'un parc de quartier en compensation du parking jugé surdimensionné. La population du quartier a également été impliquée lors de plusieurs ateliers. Elle a exercé son influence sur l'aménagement du parc et a même obtenu que, pour garantir la vue, seules deux surélévations soient construites au lieu des trois prévues initialement. "Aujourd’hui, les riverains et les autorités possèdent des leviers d’action importants", explique Yves Bonard en haussant les épaules : tous les plans spéciaux doivent être soumis au vote du Parlement et le propriétaire du terrain sait pertinemment qu’un changement d’affectation ou de densité n'ont aucune chance d’être entérinés sans offrir des espaces verts de qualité et sans proposer une valeur ajoutée à l’attention d’un vaste public.

Nicole Christe explique que l’instrument du PPA, aussi puissant qu’il soit, n'a pas été utilisé il y a maintenant 13 ans lors de la planification du quartier des Fiches Nord : "Il y avait un grand nombre de propriétaires fonciers assis à côté des Services de la ville, et leurs terrains étaient déjà valablement affectés en zone à construire. Il s’est avéré extrêmement difficile de les convaincre d'adopter un plan commun pour les espaces libres et les dessertes, rendant impossible d’imaginer de les faire converger vers un PPA. Et dès lors qu'il n'y avait pas de perspectives d’obtenir une densité supplémentaire, les propriétaires fonciers n’ont pas désiré s'engager dans une procédure longue et compliquée".

Avec la participation de la population

La participation active de la population aux projets d'urbanisme est aujourd'hui une norme généralisée à Lausanne. "Il n'y a pratiquement plus de projets d'urbanisme qui ne font pas l’objet d’une démarche participative", précise Yves Bonard. Un panel de procédures très diversifiés sont utilisés, alternant les tables rondes d'experts et les ateliers ouverts. "Il n'y a pas de recette miracle ou de bonne méthode", explique Yves Bonard, fort d'une expérience de plusieurs années, car chaque forme de participation répond aux enjeux du type de projet, du maître d'ouvrage, mais aussi de la population concernée. Il existe toutefois des règles de base. La plus importante consiste à définir clairement et honnêtement dès le départ la marge de manœuvre qui sera accordée aux participants, car certains objectifs de projet s’avèrent non-négociables de la part des propriétaires et des politiques. La deuxième règle est la transparence. "Il ne suffit pas de faire participer quelques initiés", souligne Yves Bonard. "Les résultats doivent être documentés et publiés de manière assidue - chaque réunion, chaque proposition fait l’objet d’un compte-rendu".

La plus ambitieuse procédure de participation s’articule actuellement autour du réaménagement des places de la Riponne et du Tunnel et s'étend sur plusieurs années. Le cadre non-négociable était le suivant : il y aura un réaménagement et des places de parking disparaîtront. En revanche l'aménagement et la programmation restent ouverts : peut-être faut-il concevoir un skate-park ? Ou réaliser des îlots climatiques arborisés ? Le processus a commencé par des études sur l'histoire de la ville, suivies d'expositions et de débats publics. Les modèles ainsi créés ont servi de base à un concours d'idées international. Aujourd'hui, les trois équipes lauréates poursuivent leur travail dans le cadre d'ateliers réunissant des spécialistes et les habitants concernés par l’avenir de ces deux espaces publics. Ne s’agit-il pas d’une procédure trop compliquée ? Non, répond Yves Bonard : "Pendant 40 ans, nous avons planifié cet endroit selon une hiérarchisation venant d'en haut, sans aucun résultat concluant. Il est temps de changer de méthode et de planifier avec la population. Bien sûr, nous ne savons pas encore si cela nous mènera au but". Le véritable sens de la participation, avoue Yves Bonard, ne réside pas dans le fait d'éviter les oppositions car elles s’inscrivent aussi dans le cursus de légalisation de ce genre de procédure. Le véritable potentiel réside dans la mobilisation d’une intelligence collective, dans la diversité des expertises et des connaissances des utilisateurs, qui conduisent à des solutions meilleures, car plus abouties.

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