Un aimant programmatique, paysager et urbain

L’école de Chandieu à Genève

Yves Dreier

Pour clore une longue histoire

Le site qui accueille aujourd’hui l’équipement et l’espace public de Chandieu clarifie une situation urbanistique dont l’histoire est chargée. Sa destinée est intimement liée au plan directeur régional de 1936, dit plan Braillard. Ce plan d’extension de l’agglomération genevoise prévoyait la création de pénétrantes vertes qui convergeaient de manière radiale de la périphérie vers le centre urbain. Une de ces coulées paysagères transitait par Chandieu pour relier le Petit-Saconnex à la gare Cornavin en s’appuyant sur la structure d’espaces publics des Parcs de Trembley, Beaulieu et des Cropettes. Suivant cette planification visionnaire, la Ville de Genève a mis en place, dès 1948, une politique opportune et patiente de rachat des parcelles en main de propriétaires privés.
Occupé par un parking à ciel ouvert à l’usage du millier d’employés de l’entreprise Sodeco – une société de production de compteurs électriques qui avait succédé à une fabrique d’horlogerie – le site a connu une longue période à vocation industrielle. Dans les années 1980, la délocalisation des activités ouvrit la voie du renouveau pour l’ensemble du quartier. Il restait à traduire l’intuition du continuum de verdure et à réhabiliter le chaînon manquant pour rattacher le quartier à son contexte.
En 1985, une première étude d’aménagement remplace les bâtiments industriels par des barres d’habitations et fait mention d’un programme scolaire à intégrer dans le quartier. Prévue initialement dans le parc voisin de Vermont, l’implantation de la nouvelle école fait l’objet d’un refus par référendum en 1990. C’est finalement en 2011, que la Ville de Genève lance un concours d’architecture pour la réalisation d’un équipement scolaire avec un programme d’affectation multifonctionnel. Le projet «petit navire» de l’atelier Bonnet est désigné lauréat. Sa mise en fonction devient effective lors de la rentrée scolaire d’août 2016.

Un aimant pour le quartier

Le nouveau bâtiment s’étire sur 167 mètres dans un geste d’accompagnement du cordon de verdure. Son implantation en bordure de l’étroite parcelle fluidifie la relation aux espaces publics et paysagers. Sa volumétrie allongée et séquencée correspond à la mise en série des affectations qu’il héberge. Son gabarit ciselé se matérialise par une accroche soucieuse des rapports d’échelle alentours.
Le bâtiment s’implante dans le quartier par un point de gravité qui marque le parvis du préau et l’entrée de l’école. Cet ancrage spatial coïncide avec le dégagement du square de Chandieu, disposé perpendiculairement à la pénétrante verte. La rencontre de ces deux espaces publics est magnifiée par la sculpture de l’artiste Fabrice Gygi – un mât et un bassin – qui marquent l’ordonnée de ce système autour duquel l’espace semble s’enrouler.
Par de subtils effets de glissement et de décalage, la disposition des différents programmes répond à la trame publique et contextualise l’implantation du bâtiment. Aimanté par son centre, le bâtiment se décline ensuite dans un jeu de déhanchements asymétriques et d’équilibres volumétriques jusqu’à atteindre ses deux extrémités – deux têtes qui articulent la transition avec les Parcs Trembley et Beaulieu.
L’espace public qui accompagne le volume bâti dans sa longueur se compose d’une structure paysagère densément arborisée et d’activités ludiques disposées aléatoirement. Son statut de zone piétonne prend des allures d’esplanade sur laquelle se rencontrent les différents usagers du quartier. Le nouvel équipement, par les multiples fonctions qu’il héberge et par les valeurs sociétales qu’il prône, s’affirme par son identité et sa prestance publique comme un projet urbanistique qui dépasse son propre volume. Il possède toutes les caractéristiques d’un catalyseur qui rayonne bien au delà de ses murs pour réorganiser l’ensemble du quartier autour de sa condition représentative.

Un village dans la ville

En complément de son ancrage urbain et paysager, l’attractivité du nouvel bâtiment est assurée par la diversité de ses affectations : espace de quartier polyvalent, bassin de natation, salle d’éducation physique, école primaire, restaurant scolaire avec cuisine de production, locaux parascolaires et crèche.
L’école est pensée comme un village de maisons contiguës. Les effets de voisinages parlent d’une cohabitation dans laquelle les enfants développent un sentiment de protection et d’appartenance tout en appartenant à un système plus vaste. Les maisons intègrent, sur un socle unitaire en béton brun, un nouveau niveau de référence. Contenues par une matérialisation uniforme en crépi blanc, les interactions entre volumes sont à la fois complices et complexes. Ce contraste de matérialisation entre les parties publiques et privées du bâtiment joue sur les effets de singularité, de multiplicité et d’unité propres à beaucoup de bâtiments publics.
L’empilage savant des programmes donne l’impression d’une densification imbriquée tout en garantissant l’autonomie des différents usages. Leur appareillage et leur juxtaposition engendrent une générosité spatiale par effet d’interaction. L’imbrication s’effectue par un jeu de coupe qui démultiplie les relations verticales et horizontales au travers d’échappées visuelles traversantes. Chaque programme possède un lien spécifique avec le niveau de l’esplanade. Deux préaux – un pour l’école et l’autre pour la crèche – sont disposés en toiture et jouissent de dégagements protégés vers l’extérieur.
La disparité programmatique trouve une convergence constructive par le soin apporté à la matérialisation et au dessin des détails. La matière devient le symbole unificateur d’éléments initialement hétéroclites et bigarrés. Elle offre une redondance et une déclinaison à certains motifs constructifs et atmosphériques – revêtement de sol colorés, baies vitrées ponctuées de de fenêtres ouvrante, lustrerie au courbe arrondie, mobilier en bois 3-plis – pour contaminer chaque espace. Elle tisse des liens complices qui oscillent entre singularité et continuité. Elle génère un jeu d’appartenance s’adressant aux seuls utilisateurs initiés – les enfants – qui traversent durant leur scolarité l’ensemble des "maisons".

En étoile, du centre vers la périphérie

L’organisation spatiale du volume de l’école primaire mérite une attention particulière. Abritant 16 classes disposées sur 3 étages, sa verticalité tranche avec l’horizontalité du reste du bâtiment. Les espaces intérieurs de distributions se déclinent en étoile autour d’un escalier central emblématique. Le déploiement de cet escalier aux volées décalées d’un étage à l’autre défait habilement l’uniformité des niveaux superposés et produit une multitude de vues croisées. Le parcours se vit comme un dédale de ruelles ponctuées de zones de respiration dédiées au jeu et aux patères des vestiaires.
Inspirée d’un plan centré, le principe statique pose une lecture spatiale qui engendre un rapport différencié entre les espaces de circulation et les salles d’enseignement. A l’intérieur des classes, les plafonds sont rythmés par un système de poutres à nervures qui s’appuient sur les murs – des voiles porteurs – disposés entre chaque classe. Ce dispositif libère les façades et les cloisonnements de toute contrainte statique, permettant à chaque classe de bénéficier de généreuses ouvertures sur les espaces intérieurs de déambulation et sur le monde extérieur. Les salles spéciales – salle de rythmique, salle de jeux, atelier du livre, atelier d’arts visuels, salles des langues, administration – se répartissent dans les angles du volume par souci d’autonomie.
A l’image de tout le bâtiment, la logique d’unification révèle l’énorme capacité de l’atelier Bonnet à reconnaître les particularités et spécificités de chaque affectation. L’école de Chandieu révèle une quête, celle du sens à donner aussi bien à la règle qu’à l’exception, à l’intimité de la classe d’enseignement qu’à son appartenance à une organisation plus vaste, à la mesure des enfants qu’à l’échelle urbaine.

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