De l’imaginaire aux repères rassurants

Deux nouvelles crèches à Genève

Marielle Savoyat

L’apprentissage de la vie en collectivité commence de plus en plus jeune, les mères d’aujourd’hui menant souvent de front une vie professionnelle et familiale. L’évolution très rapide des modes de vie a augmenté les besoins de gardes des très jeunes enfants, dès 3 mois jusqu’à l’âge de la scolarité. Le programme des crèches est nouveau, avec un historique relativement récent et peu de références sur lesquelles s’inspirer pour les architectes. Pour ainsi dire, chaque crèche construite appelle une conception « novatrice », avec une typologie nouvelle. Comment appréhender la conception de ces bâtiments destinés à la toute petite enfance ? Et si nous replongions dans notre enfance, de quoi aurions-nous besoin ? A priori, une crèche devrait offrir des espaces intérieurs et extérieurs protégés, faciliter une démarche éducative, favoriser l’imaginaire et inviter à la découverte tout en offrant des repères sécurisants. Arrêtons-nous sur l’exemple de deux crèches, réalisées en 2015 dans des contextes très différents à Genève, témoins de deux regards sur ce programme très récent. L’une est conçue par les architectes de group8 dans le quartier très dense des organisations internationales à Sécheron, l’autre est dessinée par le bureau Lacroix & Chessex, dans le nouveau quartier de la Chapelle-les Sciers au Grand-Lancy, en périphérie urbaine.

S’immerger dans l’imaginaire

Dans les deux cas, le site a fortement influencé la démarche de conception et la perception du bâtiment change selon le point de vue. Au Grand-Lancy, du côté route, le bâtiment apparaît comme un grand bâtiment institutionnel, une « boîte percée ». Du côté préau, ce sont le profil de deux petites maisons archétypiques des dessins d’enfants, carrées avec des toits à double pente, qui apparaissent. Tout en subtilités, en crescendo d’un côté à l’autre du bâtiment, les ouvertures s’agrandissent et se rapprochent pour se toucher côté préau et plonger le paysage au cœur du bâtiment. Deux grands sapins d’Espagne se dressent dans le préau, qui s’ouvre sur un grand verger, au caractère campagnard. A Sécheron, la crèche s’imbrique entre deux immeubles administratifs imposants. Elle s’étale sur presque l’ensemble du site sur un niveau, tel un paysage ludique « non-construit », proposant par là presque un « vide » salutaire dans ce quartier très dense. De l’extérieur, elle ne paraît pas si grande qu’elle ne l’est en réalité.
Les architectes des deux exemples ont approché l’imaginaire de l’enfant, pour l’y immerger. La crèche « Origami » (group8) invite au jeu et à l’exploration, par le décalage de quatre « bandes paysagères » se mouvant dans des formes courbes. Telles des collines habitées, c’est comme si le sol se soulevait par endroits pour abriter les différentes fonctions de la crèche, offrant par ailleurs quatre lieux extérieurs protégés dans les concavités des « vagues ». La crèche « Les couleurs du monde » (Lacroix & Chessex), quant à elle, suggère l’image des jouets en bois, par sa matérialité et sa mise en œuvre au caractère «massif&raquo.; Le plan du bâtiment lui-même, en forme de queue d’arondes, évoque les jeux de construction. Cet équipement s’incarne d’ailleurs comme la dernière pièce de puzzle à l’angle de ce nouveau quartier de plus de 1'250 nouveaux logements.

Entrer dans un monde protégé

Entrer dans le monde protégé et sécurisé d’une crèche nécessite un seuil clair entre l’extérieur et l’univers de cette « maison de jour ». A la crèche « Origami », les enfants et leurs parents traversent l’un des quatre espaces extérieurs, avant de pénétrer à l’intérieur. Ce « sas » à ciel ouvert fait office de seuil entre le monde extérieur et l’intérieur. Dans le quartier de la Chapelle-les Sciers, un sas extérieur couvert « creusé» dans le volume du bâtiment offre une douce transition abritée entre l’extérieur et l’intérieur.

Explorer dedans / une question d’échelle

Dans une institution telle qu’une crèche, l’échelle de l’enfant qui grandit au fur et à mesure se mêle à celle des adultes qui l’encadrent et l’accompagnent. Toutefois, une distinction claire des deux mondes, celui de l’adulte (services, administrations, …) et celui dédié à l’enfance semble judicieuse. Au Grand-Lancy, les quatre groupes d’enfants se répartissent dans les «maisons» côté préau, alors que les lieux de services et d’administration s’installent côté route. A Sécheron, les quatre groupes d’enfants sont également clairement distingués des zones de bureaux dédiés au personnel. Dans les deux cas, les espaces où les bambins sont accompagnés (zones de circulation) ou partagent des activités de groupe sont généreux. A la crèche « Origami », la cuisine et le réfectoire occupent une place centrale au cœur même du bâtiment. A celle du Grand-Lancy, une grande salle de mouvements jouxte l’espace de circulation à l’étage, occupant également une position centrale dynamique. Dans les deux réalisations, les espaces de vie où l’enfant peut vaquer librement à l’exploration du monde qui l’entoure se rapprochent de l’échelle domestique, plus petite et plus rassurante.

Explorer dehors / une question de stimuli

Les deux crèches offrent des espaces extérieurs étudiés avec soin, leur donnant autant d’importance que les bâtiments, en intime relation avec ces derniers. Petites cours urbaines protégées pour l’une, grand préau ouvert sur verger pour l’autre. A Sécheron, les limites de ces zones extérieures sont créées par le bâtiment lui-même. Les pentes raides utilisées sur les abords de ces quatre cours limitent la progression des petits explorateurs, qui n’escaladent ainsi pas la toiture végétalisée., mais explorent plutôt le monde des plantes à leur hauteur. Quatre espaces extérieurs représentent un avantage rare pour la répartition des quatre groupes d’âges. Les tout petits peuvent ainsi profiter du plein air sans être bousculés par les plus grands. Au Grand-Lancy, c’est d’une part la forme du bâtiment qui délimite le préau, mais d’autre part un jeu sur la topographie. Creusée en contrebas du terrain naturel, cette pièce à ciel ouvert se dessine clairement, en écho à celle du bâtiment, comme deux pièces de puzzle imbriquées l’une dans l’autre. Un banc à hauteur d’enfants court sur tout son pourtour. Le bord du plancher extérieur en bois qui « flotte » au-dessus du terrain naturel forme également un long banc continu autour de chacun des deux grands arbres. Ce sont diverses formes d’expériences sensorielles qui sont proposées ici aux enfants au travers d’éléments tels que l’eau, le sable, le bois, les arbres.

Voir et être vu

Dans les deux réalisations, de nombreux échanges visuels sont possibles entre les différents espaces intérieurs et extérieurs. Pour les enfants, ces regards offrent non seulement une première opportunité d’apprentissage relationnel avec les autres, mais encore une présence rassurante et omniprésente. Pour le personnel, ces vues garantissent une surveillance efficace et sécurisante. Pour garantir l’intimité des enfants par rapport à l’extérieur, les façades de la crèche « Origami» se déclinent en trois types de verre transparents et translucides. A l’intérieur, des hublots à hauteur d’enfants entre les salles de vie et le couloir invitent au jeu et aux rires.

Se sentir «comme à la maison»

Pour se sentir en sécurité, l’enfant doit non seulement être bien entouré par des adultes de confiance, mais également pouvoir trouver des repères rassurants et connus. Les espaces des différents groupes d’âges de la crèche de Sécheron sont de petites dimensions, pour se sentir « comme à la maison ». L’aménagement intérieur permet une grande flexibilité d’utilisation et une grande marge de manœuvres pour l’équipe éducative qui se l’approprie pleinement, pour divers projets pédagogiques. Dans les espaces de vie de la crèche du Grand-Lancy, une atmosphère domestique est recherchée, avec des plans sans couloir, une matérialité dominée par le bois, des planchers et du mobilier en bois, un béton teinté dans la masse avec une couleur proche de celle du bois, une acoustique plus feutré, des petits espaces.
Finalement, ces deux réalisations proposent toutes deux des typologies novatrices et démontrent bien que l’architecture prend naissance à partir du site dans lequel elle s’insère. Elles créent des univers protégés, dans lesquels les enfants peuvent laisser libre cours à leur imagination, explorer le monde en toute sécurité, tout en posant les premières pierres de l’apprentissage de la vie avec les autres, en-dehors du cocon familial, mais avec des repères rassurants.

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